La Caisse de dépôt et placement du Québec: liée au génocide selon un rapport de l’ONU
La Caisse de dépôt et placement du Québec (récemment renommée La Caisse) est passé en mode damage control en juillet 2025. La raison: un rapport de l’ONU qui épingle La Caisse[1] pour ses investissements liés à « l’économie du génocide ». Le titre du rapport, daté du 30 juin 2025 : De l’économie de l’occupation à l’économie du génocide[2]. Quand ça va mal, il faut limiter les dégâts…
Si le rapport avait été écrit par un chercheur militant, La Caisse aurait aisément pu l’ignorer, ou balayé du revers de la main: après tout, chacun a droit à son opinion… Mais dans ce cas-ci, La Caisse devait réagir. Je m’explique…
Une des branches importantes de l’ONU, c’est le Conseil des droits de l’Homme. Le Conseil mandate des experts juridiques pour l’informer de ce qui se passe sur le terrain en termes de droits humains. Tous les rapporteurs sont soigneusement sélectionnés par le Conseil, triés sur le volet pour leur compétence juridique et leur objectivité.
Un des endroits d’intérêt pour la communauté internationale, ce sont les territoires palestiniens qui sont occupés par Israël depuis 1967. En droit international, ces territoires, bien que non contigus, forment un tout: la Palestine. Le territoire palestinien ayant la plus grande superficie, c’est la Cisjordanie, qui inclut Jérusalem Est; l’autre territoire, c’est Gaza.

En outre, le droit international interdit qu’une occupation devienne, avec le temps, permanente[3], d’où l’importance pour le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU de suivre de près ce qui s’y passe. C’est pourquoi le Conseil s’est doté d’un rapporteur spécial sur les droits humains pour les territoires palestiniens occupés depuis 1967.
Depuis 2022, le rapporteur spécial de l’ONU est une rapporteuse : Me Francesca Albanese. C’est elle qui a signé le rapport au titre dévastateur pour La Caisse : De l’économie de l’occupation à l’économie du génocide. La Caisse ne peut pas ignorer ce rapport ou le qualifier de simple avis individuel. C’est un avis juridique expert. De plus, cet avis juridique expert n’est pas celui d’un quelconque expert juridique, mais de l’expert juridique de confiance du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU…
Ainsi, le regard de la communauté internationale est désormais tourné vers La Caisse. Le regard des Québécois et des Québécoises aussi. À l’échelle internationale, la responsabilité de défendre les institutions nationales incombe davantage au Premier ministre du Québec; à l’échelle nationale, elle revient davantage aux dirigeants institutionnels. Le président et chef de direction de La Caisse, Charles Émond, a donc produit une défense écrite de La Caisse, publiée dans la section Opinions du quotidien montréalais La Presse.[4]

Lorsque j’ai lu la défense, ou apologie, de monsieur Émond, j’ai repéré certains problèmes logiques. Malgré le congé d’été, je me suis senti interpellé de jouer mon rôle d’enseignant. Dans ce qui suit, je vais évaluer, stylo rouge à la main, la qualité de l’argumentation de Charles Émond. Comme dans mon travail d’enseignant, mon évaluation sera faite selon les standards professionnels habituels d’objectivité: un enseignant corrigeant un texte argumentatif évalue non pas la thèse défendue, mais la qualité de l’argumentation soutenant la thèse. De plus, mon évaluation sera faite en fonction des standards professionnels habituels de rigueur logique, notamment en déclarant hors-jeu les arguments fallacieux, qu’ils soient utilisés de manière intentionnelle (sophismes) ou non (paralogismes). Mes annotations détaillées justifieront chaque aspect de mon évaluation.
Si je devais donner une évaluation qualitative pour l’ensemble de la structure logique de l’argumentation de Charles Émond, je dirais ceci : elle est, en un mot, bancale. Pour une table bancale, on improvise une solution, souvent une feuille de papier, pliée et placée comme calle sous la patte de table la plus courte. Mais un petit ajustement structurel ne suffirait pour l’argumentation de monsieur Émond: elle est tellement bancale qu’elle ne tient pas debout…
Par charité chrétienne, il n’y aura pas d’évaluation quantitative…
L’imprécision, précisément…
La thèse défendue par le PDG de La Caisse a le mérite d’être facilement repérable. Charles Émond débute son texte par sa position: « plusieurs allégations circulent sur les choix d’investissement de La Caisse dans le contexte du conflit à Gaza », et elles « peuvent mener à des fausses interprétations ».
La thèse, reformulée, c’est: n’écoutez pas les allégations, c’est-à-dire les affirmations mal fondées ou mensongères. Écoutez-nous plutôt: « Vous pouvez compter sur nous ».
Mais quelles sont ces allégations?Dans son apologie, monsieur Émond mentionne un rapport qui contient des allégations, mais il ne donne ni le titre du rapport, ni l’auteur, ni la référence. Charles Émond laisse donc à son lecteur ou à sa lectrice le soin de rechercher ces informations. Lorsqu’un étudiant ou une étudiante fait allusion à un texte sans en donner la référence, j’indique dans la marge, à l’encre rouge: « C’est votre responsabilité de fournir l’information pertinente. Ce n’est pas au lecteur ou à la lectrice de la rechercher. » Monsieur Émond fait donc allusion au rapport auquel son article répond, et cela est un manquement en termes de précision. La rigueur est de rigueur…
Le rapport affirme, dit Charles Émond, « que nous investissons délibérément dans des sociétés qui contribuent à la destruction du peuple palestinien. » En fait, le titre du rapport ne parle pas de « destruction du peuple palestinien », mais de génocide. Rappelons le titre du rapport Albanese : De l’économie de l’occupation à l’économie du génocide. Mais pourquoi monsieur Émond ne parle-t-il pas parler expressément de génocide? Incontestablement, le mot génocide a un impact beaucoup plus fort que le mot destruction. L’évitement du mot génocide constitue une deuxième occurrence du manquement de précision. Encore une fois, la rigueur est de rigueur…
L’imprécision de monsieur Émond est d’ailleurs présente dès le titre de son apologie: « Nous nous préoccupons de la crise humanitaire en Palestine », dit Charles Émond. Crise humanitaire? Un génocide est une « crise humanitaire »? Pour dire les choses le plus précisément possible, faisons un exercice mental: l’exercice de la réciprocité. Voici…
Supposons qu’un collégien (appelons-le Pierre) parlait dans une dissertation de l’Holocauste, mais en le présentant de manière imprécise: « L’Holocauste, écrit le jeune Pierre, c’était, à l’époque, une crise humanitaire en Europe ». Voici le commentaire le plus intransigeant et le plus charitable que j’inscrirais au stylo rouge vis-à-vis des propos de Pierre: « C’est bien peu dire! L’Holocauste n’était pas une « crise humanitaire en Europe »! C’était un génocide! Attention aux propos imprécis: ils mènent aux affirmations les plus sottes! »
Lorsque Charles Émond parle de « crise humanitaire en Palestine », il parle avec autant d’imprécision que le jeune Pierre. Le commentaire le plus intransigeant et le plus charitable que j’inscrirais au stylo rouge vis-à-vis des propos de Charles Émond, c’est, réciproquement: « C’est bien peu dire! Ce qui se passe à Gaza n’est pas une « crise humanitaire en Palestine »! C’est un génocide! Attention aux propos imprécis: ils mènent aux affirmations les plus sottes! »
Au moment où La Presse publie l’apologie de Charles Émond (le 15 juillet 2025), le New York Times n’avait pas encore publié l’article du Professeur Omer Bartov : I’m a Genocide Scholar. I Know it When I See It (Je suis un expert sur la question du génocide. Je sais de quoi je parle). L’article du Professeur Bartov est paru le 16 juillet 2025, le lendemain de l’article de monsieur Émond. Toutefois, le Professeur Bartov disait très publiquement depuis mai 2024 qu’il craignait que ce soit un génocide, rejoignant ses collègues Amos Goldberg et Raz Segal, qui affirmaient depuis au moins 2024 qu’Israël menait un génocide à Gaza.
De plus, bien avant l’apologie de monsieur Émond du 15 juillet 2025, de nombreuses organisations de défense des droits humains avaient affirmé qu’Israël mène un génocide à Gaza, dont Human Rights Watch et Amnistie internationale (B’Tselem, l’équivalent israélien d’Amnistie Internationale, n’a rejoint HRW et Amnistie Internationale qu’à la fin juillet 2025 avec son rapport intitulé Our Genocide).
Du côté de l’ONU, la rapporteuse spéciale sur les droits humains pour les territoires palestiniens occupés depuis 1967 avait, le 24 mars 2024, déposé au Conseil des droits de l’Homme un rapport intitulé L’anatomie d’un génocide. Quant à la Cour internationale de justice, le bras juridique de l’ONU, elle avait jugé dès janvier 2024 qu’Israël commet plausiblement un génocide à Gaza. La communauté internationale attend avec impatience le jugement final de la Cour sur l’accusation de génocide…
En date du 15 juillet 2025, il est très imprécis de parler de crise humanitaire à Gaza. Si monsieur Émond avait un malaise à employer le mot génocide, il aurait pu parler de meurtre de masse, et cette imprécision aurait été tellement faible qu’elle serait pratiquement passée inaperçue. Mais parler de crise humanitaire est une affirmation sotte.
Dans l’apologie de monsieur Émond, il n’y a aucune occurrence du mot génocide. Zéro. Il y deux occurrences de « une crise humanitaire » (l’une étant dans le titre). Qui est responsable de la « crise humanitaire à Gaza »? Charles Émond ne mentionne pas de responsable(s), mais il y a une occurrence de « conflit à Gaza », ce qui laisse entendre que la « crise humanitaire » est la résultante fâcheuse de ce « conflit à Gaza ».
Si actuellement, il n’y a pas pour monsieur Émond de génocide à Gaza, la question qui s’impose, c’est : « Monsieur Émond, quel est le seuil de Palestiniens morts à partir duquel, selon vous, on pourrait parler de génocide? Autrement dit, combien de Palestiniens morts faudrait-il, selon vous, pour que La Caisse envisage de désinvestir d’entreprises liées à des crimes de guerre et à de crimes contre l’humanité? » Sans jeu de mot, cette question, c’est la question qui tue…
Un détournement cognitif
Rappelons la thèse défendue par le PDG de La Caisse dans son article du 15 juillet 2025: n’écoutez pas les allégations, c’est-à-dire les affirmations mal fondées ou mensongères véhiculés dans un rapport liant La Caisse à la destruction du peuple palestinien. Écoutez-nous plutôt: « Vous pouvez compter sur nous ».
Pour soutenir sa thèse, monsieur Émond donne un premier argument (il est de bonne guerre de donner en premier lieu son meilleur argument): « D’abord, nous nous préoccupons de la crise humanitaire à Gaza et du sort de la population palestinienne dans l’ensemble du Territoire palestinien occupé (TPO) par Israël. C’est pourquoi nous avons agi. Aucun nouvel investissement en Israël et dans le TPO n’est actuellement autorisé à La Caisse. »
En lisant que La Caisse avait suspendu tout nouvel investissement en Israël et dans les territoires palestiniens qu’il occupe, j’ai immédiatement eu un doute sur ma perception de la réalité, et je me suis senti honteux: « Comment ai-je pu être aussi mal informé? Le PDG de La Caisse ne peut affirmer quelque chose aussi publiquement sans que ce ne soit vrai! Comment ai-je pu penser que La Caisse soit irresponsable au point de ne rien faire face à la situation à Gaza… » Pour mesurer l’ampleur de ma bourde, j’ai donc entrepris une recherche sur l’annonce que La Caisse avait suspendu tout nouvel investissement.
Au bout de plusieurs dizaines de minutes de cherche, je me suis rendu compte que j’ai été victime de détournement cognitif (gaslighting): j’ai été manipulé psychologiquement par Charles Émond! En effet, il a réussi à me faire douter de ma perception de la réalité, m’amenant à accepter que La Caisse avait effectivement suspendu tout nouvel investissement. Mais ne trouvant pas d’information sur la présumée action de La Caisse (« nous avons agi »), j’ai commencé à penser que je n’en trouverai pas pour la simple et bonne raison qu’aucune action n’a été posée! En effet, une suspension de nouveaux investissements de la Caisse est hautement digne de couverture médiatique! Où donc est la couverture de cette importante annonce? La réponse est toute simple: il n’y a pas de couverture médiatique parce qu’il n’y a rien à rapporter! Bref, monsieur Émond dit que La Caisse a agi, mais en réalité, la Caisse n’a rien fait…
Monsieur Émond pourrait certes démontrer, comptes à l’appui, que depuis une certaine date (disons le 25 juillet 2024), La Caisse n’a effectué aucun nouvel investissement en Israël et dans les territoires palestiniens occupés par Israël, et que cela prouve donc que l’inaction de La Caisse correspond à une décision institutionnelle de suspendre ses investissements par soutien des Palestiniens de Gaza. Toutefois, s’il disait cela, il ferait usage d’un argument fallacieux nommé le non sequitur (« qui ne suit pas », en latin). Un exemple concret de ce sophisme ou paralogisme, c’est le cas de Paul. Voici. Paul est très gentil à la maison. Affirmer dès lors qu’il suit logiquement que Paul est très gentil au travail, c’est très exactement un non sequitur: Paul peut très bien être détestable au travail! De la même façon, de l’inaction de La Caisse à partir du 25 juillet 2024 (en termes d’investissements en Israël), il ne suit pas que cette inaction soit logiquement causée par une solidarité de La Caisse pour les Palestiniens de Gaza. Il est très possible que l’inaction exprime une préoccupation pour l’image de La Caisse.[5]
Le seul moyen pour monsieur Émond de prouver que La Caisse ait véritablement agi, ce serait de produire un mémo, une note de service ou un communiqué de la Direction de La Caisse daté (du 25 juillet 2024) et annonçant la décision de suspendre tout nouvel investissement en Israël (et précisant les motifs de la décision).
Rappelons que la Caisse est une institution étatique, et que les États ont un certain nombre d’obligations internationales, dont celles précisées dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.[6] En tant que président et chef de direction de La Caisse, monsieur Émond a la responsabilité de s’assurer que l’institution qu’il dirige se conforme aux obligations internationales de l’État. D’ailleurs, monsieur Émond souligne dans son apologie qu’à La Caisse, « nous respectons nos engagements en matière de droits de la personne. »
Qu’en est-il des anciens investissements de la Caisse?
Passons maintenant à la question des investissements de la Caisse avant « la crise humanitaire à Gaza ». S’il y a eu suspension des investissements de La Caisse depuis « la crise humanitaire à Gaza », il est évident que La Caisse avait des investissements en Israël (et dans les territoires palestiniens occupés par Israël) avant « la crise humanitaire à Gaza ».
Il y a un présupposé dans ce qu’écrit monsieur Émond. Ce présupposé, c’est qu’avant « la crise humanitaire à Gaza », la réalité des Palestiniens de Gaza ne justifiait pas la suspension des investissements de La Caisse. Il y a toutefois un problème avec ce présupposé: c’est que depuis des décennies, la documentation sur les territoires palestiniens sous occupation israélienne est très abondante. En fait, ces territoires sont parmi les endroits les plus couverts au monde. Comme le précisait le prédécesseur de Me Albanese comme le rapporteur spécial[7], la situation des Palestiniens des territoires occupés est à la fois fort bien documentée et fort peu médiatisée.
Prenons appui sur quelques éléments de cette volumineuse documentation pour apprécier la réalité de la vie sous occupation des Palestiniens de Gaza et de la Cisjordanie, et voyons ensuite si le présupposé de monsieur Émond tient la route…
L’essence même d’une occupation, c’est d’être temporaire: une occupation permanente, c’est une contradiction dans les termes. Pour éviter l’oxymore occupation permanente, le mot qui convient pour exprimer une mainmise permanente, c’est le mot annexion. En ce qui concerne les territoires palestiniens occupés (la Cisjordanie, incluant Jérusalem Est, et Gaza), la question se pose: après 6 décennies, sont-ils occupés ou annexés par Israël? Désormais, les analystes parlent d’Israël-Palestine comme formant un tout unifié, une réalité politique unique, une unité territoriale sous souveraineté israélienne. L’étiquette apposée sur cette réalité est the one-state reality, la réalité d’un état de la rivière Jourdain à la mer Méditerranée.[8] Le déni de cette réalité a produit un quolibet sur le caractère absolument temporaire de l’occupation: « L’occupation est temporaire, et elle sera toujours temporaire ! »
Y a-t-il des indications qu’après 6 décennies d’occupation, l’occupation tire à sa fin? Selon la juriste Monique Chemillier-Gendreau, l’objectif d’Israël depuis sa création, c’est de rendre impossible un État palestinien.[9] Selon l’israélienne Tanya Reinhart, la véritable fracture au sein de la société israélienne, c’est celle entre, d’une part, « les colombes », qui derrière une façade de négociations, érigent un apartheid tranquille, et d’autre part « les faucons », qui optent pour le transfert massif de population, c’est-à-dire de compléter le nettoyage ethnique de 1948.[10] Hélas, les Israéliens voulant une paix juste avec les Palestiniens ne représentent pas un contrepoids significatif par rapport aux colombes et aux faucons. L’électorat israélien a d’ailleurs permis à Benjamin Netanyahu d’avoir une très longue carrière comme Premier ministre. Élu Premier ministre la première fois en 1996, Netanyahu n’a jamais tergiversé sur son opposition à la création d’un État palestinien.
Ainsi, l’occupation n’est pas une mainmise temporaire, mais une véritable annexion. Certes, cette annexion n’est pas officielle, déclarée, de jure, mais elle est officieuse, établie, de facto. La raison pour laquelle l’annexion n’est pas déclarée explicitement, c’est que ce serait un affront inacceptable au droit international et à la communauté internationale, qui s’en réclame. Le socle du droit international, son bedrock principle, son soubassement, c’est l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la guerre. Ce principe est souvent invoqué ailleurs dans le monde, notamment depuis 2022, le début de la présence militaire russe sur des oblasts ukrainiens…
Dans le cas des territoires palestiniens, il y a cependant une confusion courante: comment Israël peut-il occuper des territoires palestiniens si ces territoires sont gouvernés par des Palestiniens ? En effet, ne dit-on pas que la Cisjordanie est gouvernée par l’Autorité palestinienne? Et Gaza: ne dit-on pas de la bande qu’elle est sous le contrôle du Hamas? Cette confusion est vite écartée lorsqu’on distingue entre le gouvernement par la puissance souveraine et le gouvernement par les autorités municipales. En effet, il y a un gouvernement d’ordre municipal opéré par l’Autorité palestinienne et par le Hamas. Mais ces gouvernements ne constituent pas une puissance souveraine. De la rivière Jourdain à la mer Méditerranée, Israël est l’unique puissance souveraine.
Les territoires palestiniens sont donc sous souveraineté israélienne, une souveraineté dite temporaire, mais en réalité elle est définitive. Monsieur Émond, PDG d’une institution préoccupée « du sort de la population palestinienne dans l’ensemble du Territoire palestinien occupé (TPO) par Israël », autorise pourtant à La Caisse d’investir dans l’économie de l’occupation. N’aurait-il pas dû, en 2022, alors que la Russie entrait en Ukraine, exprimer publiquement un malaise, en tant que PDG de La Caisse, avec l’occupation des territoires palestiniens, pourtant soumis, eux aussi, à une occupation militaire, et ce depuis bien plus longtemps?
Par ailleurs, entre 2020 et 2022, une série de rapports sont publiés par de nombreuses organisations de défense des droits humains, dont certaines sont israéliennes. Le point commun de ces rapports: ils documentent et dénoncent les politiques israéliennes d’apartheid de l’État israélien.[11] En 2020, année où monsieur Émond assume la direction de La Caisse, Yesh Din publie un rapport sur les politiques israéliennes d’apartheid. Puis en janvier 2021, c’est au tour de B’Tselem (l’équivalent israélien d’Amnistie Internationale) de publier un rapport sur les politiques israéliennes d’apartheid. Le rapport de B’Tselem sera suivi en avril 2021 par celui de Human Rights Watch. Au début de 2022, c’est au tour d’Amnistie Internationale de publier un rapport sur les politiques israéliennes d’apartheid. Monsieur Émond, PDG d’une institution préoccupée « du sort de la population palestinienne dans l’ensemble du Territoire palestinien occupé (TPO) par Israël », n’aurait-il pas dû, dès 2020, exprimer publiquement un malaise, en tant que PDG de La Caisse, avec les politiques israéliennes d’apartheid?
Les étourderies de Charles Émond
Dans son apologie, monsieur Émond souligne les principes moraux intemporels de la Caisse, ainsi que les impératifs moraux qui s’imposent actuellement: « À travers le monde, peu de fonds institutionnels ont pris un engagement similaire [de suspendre ses investissements en Israël et dans le TPO]. La Caisse l’a fait parce qu’elle a des principes [moraux] qui la distinguent et parce que c’est ce qui s’impose [moralement] dans le contexte [de crise] actuel. Aujourd’hui, c’est moins de 0,05% de notre portefeuille qui (…) est investi » en Israël et dans les territoires palestiniens vivant une « crise humanitaire ».
Ce pourcentage de 0.05% est fort inexact, mais pour les besoins de notre discussion, supposons qu’il soit exact. Il découle logiquement de ce qu’affirme monsieur Émond que la Caisse est effectivement impliquée dans une économie moralement condamnable. Certes, le degré de cette implication est faible par rapport à l’ensemble du portefeuille de la Caisse. Afin de pouvoir affirmer que la Caisse prend au sérieux ses principes et impératifs moraux, il faudrait que ce pourcentage soit en fait de 0.00%.
Par étourderie, le PDG de La Caisse confond une différence de degré et une différence de nature. Bien évidemment, il y a une différence de degré entre voler un œuf et voler un bœuf: le vol d’un bœuf est plus grave, et celui d’un œuf est moins grave. Mais il n’y a pas entre les deux vols une différence de nature: dans les deux cas, c’est un vol… Ainsi, en disant que La Caisse n’a que 0.05% de son portefeuille investi dans une économie causant une « crise humanitaire », monsieur Émond ne défend pas La Caisse: au contraire, il l’incrimine… Si La Caisse est investie un peu dans une économie de génocide, elle est investie, indéniablement, dans une économie de génocide…
Le pourcentage de 0.05% est fort inexact (le véritable pourcentage est beaucoup plus élevé, probablement 60 à 80 fois plus élevé), mais encore une fois, pour les besoins de la discussion, supposons que ce pourcentage soit parfaitement exact. Pour un petit fonds de pension, 0.05%, représente un petit montant. Mais pour un fonds de pension important (et La Caisse est un des gros joueurs dans le domaine financier), 0.05% ne représente pas un petit montant! On parle alors de centaines de millions de dollars de La Caisse investis dans une économie de génocide. Que le véritable montant soit au niveau des millions ou des milliards, l’étourderie de monsieur Émond est une reconnaissance publique que le fonds de pension qu’il préside et dirige investit dans une économie du génocide.
Monsieur Émond écrit par ailleurs que la Caisse opère dans « un monde devenu infiniment complexe. » En effet, « il est extrêmement difficile de tracer une ligne entre les entreprises qui ont des politiques pourtant claires et l’utilisation finale de leurs produits par leurs clients. C’est ce qui rend compliqué la notion de désinvestissement de certaines sociétés ». Mais Charles Émond dit, par ailleurs, qu’il a lui-même déjà tracé la ligne: il suffirait donc de désinvestir du 0.05%, et le tour est joué! Ainsi, la Caisse serait facilement à l’abri de l’opprobre de la communauté internationale et de la population québécoise. Encore une fois, le pourcentage de 0.05% est en deçà du véritable pourcentage, mais désinvestir de ce 0.05% serait au moins un pas dans la bonne direction! Par étourderie, monsieur Émond considère que ce qui est simple et facile est complexe et difficile. En fait, ce qui est simple et facile est… simple et facile.
« Vous pouvez compter sur nous »
Après avoir invoqué le « sens des responsabilités » de la Caisse, « nos principes », la « confiance » publique, Charles Émond conclut son apologie par ces mots: « Vous pouvez compter sur nous ». Je veux bien faire confiance à La Caisse, mais pas une Caisse pilotée par Charles Émond. Notre bas de laine, qui a été piloté vers l’économie du génocide, doit changer rapidement de cap, comme ce fut récemment demandé par de nombreux Québécois et Québécoises.[12]
Les Québécois et les Québécoises de conscience se souviendront de monsieur Émond et de son pilotage de La Caisse vers l’économie du génocide. J’emprunterais, là-dessus, les mots mêmes de Charles Émond: « Vous pouvez compter sur nous. »
[1] https://www.lapresse.ca/affaires/2025-07-03/gaza/la-caisse-de-depot-epinglee-dans-un-rapport-de-l-onu.php
[2] https://www.un.org/unispal/document/a-hrc-59-23-from-economy-of-occupation-to-economy-of-genocide-report-special-rapporteur-francesca-albanese-palestine-2025/
[3] Voir la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU de septembre 2024: https://docs.un.org/fr/A/RES/ES-10/24
[4] https://www.lapresse.ca/dialogue/opinions/2025-07-15/la-caisse-et-le-conflit-a-gaza/nous-nous-preoccupons-de-la-crise-humanitaire-en-palestine.php
[5]Voir https://www.ledevoir.com/opinion/idees/802395/i-cdpq-doit-conformer-droit-international
Voir aussi https://www.ledevoir.com/societe/817066/militants-propalestiniens-manifestations-sensibiliser-public-investissements-cdpq-israel
[6]Voir https://www.un.org/en/genocide-prevention/definition Voir auss: https://www.npr.org/2024/01/26/1227078791/icj-israel-genocide-gaza-palestinians-south-africa
[7] Me Michael Lynk (juriste et professeur de droit)
[8] Voir Michael Barnett, Nathan J. Brown, Marc Lynch et Shibley Telhami, The One State Reality, Cornelle University Press, 2023
[9] Voir Monique Chemillier-Gendreau, Rendre impossible un État palestinien: L’objectif d’Israël depuis sa création, Textuel, 2025.
[10] Tanya Rienhart, Détruire la Palestine:les plans à long terme des faucons israéliens, Écosociété, 2003
[11]Voir https://www.yesh-din.org/en/the-occupation-of-the-west-bank-and-the-crime-of-apartheid-legal-opinion/
Voir aussi https://www.btselem.org/topic/apartheid
Voir également https://www.hrw.org/report/2021/04/27/threshold-crossed/israeli-authorities-and-crimes-apartheid-and-persecution
Et https://www.amnistie.ca/lapartheid-israelien-envers-le-peuple-palestinien
[12] https://www.lapresse.ca/dialogue/opinions/2025-07-15/la-caisse-et-le-conflit-a-gaza/sortez-nos-caisses-de-retraite-de-l-economie-du-genocide.php
