Gideon Levy: Un transfert de population discret et cruel dans les collines du sud d’Hébron
Démolition de maisons palestiniennes la semaine dernière, l’excuse étant de créer des « réserves naturelles» israéliennes » , cette semaine une « zone de tir » amène Mahmoud Hamamdi, aujourd’hui sans-abri, à demander: « Qui est le terroriste: celui qui construit une maison ou celui qui la démolit? »
Par Gideon Levy et Alec Levoc, reposté de Haaretz
Les murs roses, les tuiles colorées, décorées de papillons et le sol en céramique blanche montrent clairement que les habitants de cette ville aimaient leur maison, l’entretenaient aussi bien que leur permettaient leurs maigres moyens et lui donnaient un aspect distinctif. Le jardinage à l’extérieur raconte la même histoire: de petites gaules de pin bien entretenues plantées dans un sol aride et rocheux, un petit jardin aromatique, des arbres fruitiers miniatures. Tout cela est maintenant en ruines, à côté de citernes d’eau et de fossés de drainage, qui ont également été démolis dans deux minuscules communautés de bergers des collines du sud d’Hébron, plantées parmi les étendues sauvages et illégales des colonies juives. Ici, un transfert de population discret a lieu tous les jours sans que personne ne l’empêche.
Mais il y a un petit signe de succès ici: personne ne part. L’objectif, aussi transparent qu’il est méprisable, est d’obliger les résidents ici à s’installer dans des villes et à délaisser la région nettoyée autant que possible de ses Palestiniens. La démolition des maisons et des citernes est l’arme de ceux qui voudraient débarrasser la terre de son peuple autochtone.
La vallée du Jourdain et les collines du sud d’Hébron sont les régions ciblées par les dépopulateurs et les schémas d’annexion. C’est ici que ça commence: l’élargissement des frontières d’Israël dans un effort apparent pour renforcer sa sécurité. Depuis l’aube de l’occupation, Israël convoite ces deux régions distinctes, la plus méridionale et la plus orientale.
La semaine dernière, nous avons été témoins des résultats des démolitions dans la vallée du Jourdain. Cette semaine, nous avons vu des ruines dans les collines du sud d’Hébron. Aux deux endroits, Israël construit pour les juifs et détruit ce qui appartient aux Palestiniens de manière systématique. Dans la vallée du Jourdain, les réserves naturelles étaient le prétexte à une expulsion; ici, dans les collines du sud d’Hébron, ce sont des zones de tir. La zone de tir 918 n’empiète, bien sûr, que sur les 11 villages palestiniens de la région, jamais aux avant-postes qui se dressent sur toutes les collines.
L’intérêt que les gens d’opinion israéliens et étrangers ont porté sur les collines du sud d’Hébron a contribué à transformer les parties haute et basse de la ville de Yatta – Masafer Yatta et Shafa Yatta, en une zone relativement bien cultivée. Ironiquement, les destructions qu’Israël fomente ici sur ordre des colons, ont transformé les hameaux de bergers locaux et d’autres villages en sites « patrimoniaux »: le patrimoine de la résistance non-violente à l’occupation et de l’attachement à la terre, ainsi que celui d’un nouveau type de construction, esthétique et écologique. Maisons composées de roches, énergie solaire, éoliennes, toilettes écologiques, sources d’énergie renouvelables et système d’irrigation pluviale pour la mise en valeur des terres.
Un chemin de terre sinueux qui passe à côté de l’avant-poste d’Avigayil mène à Al Mufaqara, un groupe de maisons faites de petites pierres, et à Mahmoud Hamamdi, porte-parole officieux de la communauté, vêtu de son costume traditionnel et d’un keffiyeh.
Hamamdi dit qu’il se souvient de notre visite précédente, il y a 20 ans, en novembre 1999, lors d’une évacuation à grande échelle de la population locale. Il y avait démolition à l’époque et il y a démolition maintenant. Cette fois, les maisons de sa famille ont été rasées.
À peu près 150 personnes vivent ici, dit Hamamdi, qui est né sur cette terre en 1965. « Depuis 54 ans, je n’ai pas quitté Al Mufaqara. Vous [les Israéliens] avez dit que nous ne vivons ici que quelques mois par an, mais nous sommes ici tout le temps. Vous avez dit « zone militaire fermée » et pourtant vous avez construit Avigayil et Havat Maçon, laissé Mitzpeh Yair grandir et laissé Nof Nesher grandir. Pour eux, ce n’est pas une zone militaire fermée. »
Quatre maisons ont été démolies ici il y a deux semaines, dans ce hameau, où l’épave d’une vieille voiture portant des plaques d’immatriculation allemandes repose sur les pentes.
« Ces gens-là n’ont aucune pitié », déclare Hamamdi, alors que nous sommes assis sur le plancher en tuiles de céramique du madafa, le bâtiment communal local. « Tout ce à quoi ils pensent, c’est l’usage de la force. Mais la force est pour les mules. Pourquoi laissez-vous le colon construire, mais pas le Palestinien? Ne suis-je un être humain? Qui est le terroriste: celui qui construit une maison ou celui qui la démolit? »
Depuis cette évacuation antérieure, en 1999, Israël n’a pas cessé d’essayer d’expulser ces personnes de chez elles. Après la destruction du 11 septembre, 16 personnes se sont retrouvées sans abri ici, dont une veuve et ses six enfants.
La veille de la démolition, les forces de l’administration civile sont arrivées pour photographier, inspecter et débrancher une conduite d’eau. Le lendemain matin, Nasser Nawaj’ah, chercheur sur le terrain pour l’organisation de défense des droits de l’homme israélienne B’Tselem, qui vit dans le village voisin de Sussia, a téléphoné à Hamamdi. L’armée, la police des frontières et l’administration civile se dirigent vers le village, a-t-il averti. « Ce ne peut pas être à cause du conduit, » pensa Hamamdi. Il a rapidement découvert que la cible était les maisons de sa famille.
Les soldats l’ont menotté pendant plusieurs heures et il a assisté impuissant à la destruction de quatre maisons: l’une était la sienne et l’autre appartenait à sa fille et à ses petits-enfants. Deux bulldozers, deux véhicules transportant des soldats, un camion avec une grue de la compagnie Sami Ovadia. Vers 11 heures, c’était fini. En cours de route, les démolisseurs ont également nivelé la clôture d’un enclos à moutons et endommagé des citernes. Hamamdi a photographié le commandant de la brigade locale, qui s’est présenté pour superviser les choses, puis parti, le fusil suspendu de son épaule.
Les deux petites petites filles de Hamamdi, Sausan, qui a presque 2 ans et Maharan, âgé de 4 mois, sont allongées sur le sol de la tente voisine qu’elles ont reçue du Croissant-Rouge. C’est chaud et bouché à l’intérieur. Le fier grand-père nous montre une photo de Sausan sur son téléphone portable, brandissant un bâton contre les soldats qui sont venus démolir sa maison. Une héroïne est née. Les ruines de la mosquée qu’Israël a détruite en 2012 sont toujours en place à proximité, à la manière d’un monument.
Nous empruntons une route sans issue qui monte du Moshav Carmel à Khirbet Jenbah, au pied de Mitzpeh Yair. Une partie de la route est en terre et une partie en béton; ce dernier a été versé secrètement la nuit par les Palestiniens pour que personne ne la voie.
L’équipe de démolition est arrivée ici le 11 septembre et a tout démoli. Les soldats ont placé d’énormes rochers sur la route pour créer un obstacle infranchissable et, par souci de sécurité, ont également démoli la partie en béton. Cette semaine, les occupants ont été tentés de trouver une voie de contournement sur la colline, mais en vain. La route reste bloquée. Lorsque les habitants ont voulu faire venir une excavatrice pour déplacer les rochers et reconstruire la route, ils ont découvert avec étonnement que les forces d’occupation avaient une longueur d’avance sur eux. Quelqu’un avait appelé les propriétaires d’excavateurs à Yatta palestinien pour les avertir de ne pas oser fournir des équipements qui seraient utilisés pour dégager la route, sinon ils en subiraient les conséquences. Les tentacules de l’occupation s’étendent partout.
En réponse à une question de Haaretz, un porte-parole du coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires a déclaré: « Les structures mentionnées, ainsi que les citernes et le chemin de terre bloqué ont été construits dans une zone de tir située dans le sud des collines d’Hébron illégalement et sans les permis requis. En outre, l’exécution a été effectuée conformément à l’autorité et aux procédures appropriées. »
Distribué par PAJU (Palestiniens et juifs unis)
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