15 Déc, 2025

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Le choix : apartheid/génocide ou démocratie partagée

JEFF HALPER

11 octobre 2023

Je vais me coucher ce soir avec la certitude absolue que, pendant mon sommeil, Israël, État membre de l’ONU, soutenu, armé et encouragé par les États-Unis et les autres pays du G7 qui dominent le monde, commet un génocide à Gaza.

Confiner deux millions et demi de personnes sur un territoire minuscule (tout en leur conseillant cyniquement et cruellement de « partir »), les priver de nourriture, d’eau et d’électricité, déclarer que tous les Gazaouis sont membres du Hamas, faisant ainsi des enfants des cibles légitimes, bombarder massivement pendant des jours pour « ameublir » le terrain, et puis, cette nuit, pendant mon sommeil, envahir Gaza avec une armée de 300 000 soldats : voilà la définition même du génocide.

Le monde est dirigé par des criminels de guerre, ce qui met en péril les opprimés et les pauvres du monde entier. Mais ce soir, nous devons penser aux habitants de Gaza, dont des milliers mourront dans les prochains jours, leurs vies anéanties, leurs villes et villages rasés.

La percée spectaculaire des combattants du Hamas aurait pu constituer un coup héroïque et potentiellement décisif pour la libération palestinienne. De fait, elle a atteint au moins deux objectifs stratégiques. Elle a restauré la fierté et le pouvoir d’agir des Palestiniens en résistant à l’oppression et en prouvant qu’Israël n’était pas invincible. Elle a également démontré que les Palestiniens ne peuvent plus être ignorés et exclus en tant qu’acteurs politiques, contrairement à la tentative cynique menée par les États-Unis de « normaliser » Israël dans le monde arabe et musulman sans se préoccuper des droits nationaux palestiniens.

Cela dit, le Hamas a finalement trahi le peuple palestinien lorsque son opération, pourtant bien planifiée, a dégénéré en un carnage aveugle. C’est ce qui arrive lorsque la résistance perd son objectif politique et se laisse aller à la violence pure et simple. Compte tenu des conditions subies par les habitants de Gaza, en particulier au cours des seize dernières années d’un siège cruel, la rage et la violence incontrôlées peuvent être comprises, mais non excusées.

Que le Hamas ait ordonné à ses combattants de massacrer des innocents pour choquer ou qu’il ait simplement manqué de discipline politique dans ses rangs, ses actes abominables ont, à mon sens, transformé un acte de résistance admirable en une tache indélébile pour le peuple palestinien et sa lutte pour la liberté. Ils doivent être condamnés, avant tout par les Palestiniens eux-mêmes.

Et pourtant, il ne faut pas oublier que le Hamas et ses exactions sont le fruit d’un siècle de destruction systématique et brutale du peuple palestinien par un projet sioniste déterminé à le déplacer, à s’emparer de ses terres, à faire de son pays un État exclusivement juif et de la Palestine un État d’Israël, et à effacer toute trace de son existence collective, de son histoire et de sa culture.

Ce processus de génocide culturel, qui dure depuis des décennies et s’accompagne d’oppression, de dépossession et de meurtres, nous conduit à la situation actuelle, où le sionisme/Israël se mue ouvertement en génocide. L’emprisonnement et l’assassinat systématique des Palestiniens se sont déjà étendus à la Cisjordanie, où soldats et colons ont reçu carte blanche pour chasser les Palestiniens de leurs terres et les tuer s’ils résistent.

Ce que le sionisme/Israël a fait au peuple palestinien constitue l’un des plus grands crimes de l’histoire moderne. Perpétué par des Juifs et soutenu par des « libéraux » juifs à l’étranger, et ce dès trois ans après la Shoah, ce crime bafoue et vide de leur sens les traditions juives de justice sociale.

Au final, le sionisme a anéanti deux peuples : les Palestiniens et les Juifs. Mais ce soir, nous devons tous nous engager à faire le nécessaire pour sauver le peuple palestinien et rétablir ses droits nationaux. L’idée de forger un État et une société partagés, inclusifs et égalitaires paraît absurde ce soir, voire une plaisanterie cruelle et déplacée. Pourtant, après tout ce sang versé inutilement, c’est là que nous devons aller.

Vous voulez « choisir un camp » ? Très bien, voici le choix : l’apartheid/génocide dans un État juif ethniquement pur, bâti sur les ruines de la Palestine, contre un État démocratique composé de citoyens égaux, accompagné d’un long et douloureux processus, mais nécessaire, de rétablissement des droits des Palestiniens, de reconnaissance des crimes et injustices commis par nous, Juifs israéliens, et de réparations. Un processus plus complexe que celui de la Commission Vérité et Réconciliation d’Afrique du Sud. Plus proche du processus, encore inachevé, en Allemagne concernant les victimes juives de l’Holocauste.

À vous de choisir.

Jeff Halper

Directeur, ICAHD

11 octobre 2023

Jeff Halper, anthropologue et militant israélien, est une figure emblématique de la Campagne pour un État démocratique unique (One Democratic State Campaign (ODSC)). Il milite pour un État unique, laïque et démocratique en Israël/Palestine, garantissant l’égalité des droits pour tous les citoyens et citoyennes. Sa vision, exposée dans ses travaux et dans le programme de la campagne, appelle au démantèlement des structures coloniales, à la garantie des droits individuels et collectifs, et au retour et à la réintégration des réfugiés palestiniens, dans le but d’une véritable décolonisation et d’une société partagée.

The choice: apartheid/genocide or a shared democracy – Jeff Halper – ICAHD

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