La CPI lance une enquête sur des crimes de guerre en Palestine
La Cour Pénale Internationale a ouvert une enquête officielle sur des crimes de guerre en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, a confirmé mercredi la procureure générale Fatou Bensouda. Cette annonce a été interprétée comme « une journée historique dans la campagne palestinienne pour la justice et la responsabilité internationales depuis plusieurs décennies » par les associations palestiniennes de défense des droits de la personne qui ont mené ces démarches.
Le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, qui sera vraisemblablement soumis à un examen minutieux de la CPI, a qualifié l’enquête d’« essence de l’antisémitisme ».L’annonce d’une enquête par la CPI arrive moins d’un mois après qu’un panel de juges ait confirmé que la compétence territoriale du tribunal s’étendait aux territoires palestiniens sous occupation militaire israélienne.
En décembre 2019, Bensouda a clos une très longue enquête préliminaire, déclarant que les critères pour enquêter sur des crimes de guerre en Cisjordanie, dont Jérusalem Est, et dans la Bande Gaza, avaient été remplis. L’enquête de la CPI couvrira les crimes commis depuis juin 2014, quand la situation en Palestine a été présentée au tribunal international.
« Obligé d’agir »
Bensouda a déclaré que son bureau « établira des priorités » pour l’enquête « compte tenu des défis opérationnels dus à la pandémie que nous subissons, aux ressources limitées dont nous disposons et à notre lourde charge de travail actuelle ». Elle a ajouté que, dans les situations dans lesquelles le procureur détermine une base raisonnable pour enquêter, le ministère public « est obligé d’agir ».
La prochaine étape du tribunal sera d’informer Israël et les autorités palestiniennes, permettant à chaque État interpellé de mener les enquêtes nécessaires « sur ses propres ressortissants ou d’autres personnes relevant de sa juridiction » en relation avec les crimes qui relèvent du mandat de la CPI. Celui-ci s’en remet aux enquêtes internes d’un pays, là où elles existent, selon le principe de complémentarité selon lequel « les États ont la responsabilité première et le droit de poursuivre des crimes internationaux ».
Israël a un système d’auto-investigation décrit par B’Tselem, première association de défense des droits de la personne humaine du pays, comme un mécanisme de blanchiment qui protège les directions militaire et politique de leur responsabilité.
A la fin de 2019, Bensouda a déclaré que l’évaluation par son bureau « de l’étendue et de l’authenticité » des procédures internes d’Israël « se poursuit à ce stade ». Elle avait cependant « conclu que les cas potentiels concernant des crimes prétendument commis par des membres du Hamas et des GAP [groupes armés palestiniens] seraient actuellement recevables ».
Dans une déclaration récente, Bensouda a révélé que l’évaluation de la complémentarité « se poursuivra » et a suggéré le fait que l’affaire puisse être étudiée par un panel de juges dans une chambre préliminaire.
Étant donné que l’entreprise coloniale d’Israël en Cisjordanie est sans aucune ambiguïté une politique nationale soutenue par les membres du gouvernement les plus haut-placés, ce sera probablement un objectif principal de l’enquête de la CPI. Comme la question de la compétence territoriale, la complémentarité sera vraisemblablement un point d’achoppement majeur pour l’enquête du tribunal en Palestine.
« Urgence absolue»
Saluant l’annonce de Bensouda, les associations palestiniennes des droits de la personne humaine exhortent « à ce qu’il n’y ait aucun retard injustifié et que l’urgence absolue soit reconnue ».
Mais Bensouda a dit s’attendre à moins de procédures expéditives, déclarant que « les enquêtes demandent du temps et doivent être fondées objectivement sur des faits et le droit ». Elle a exhorté « les victimes palestiniennes et israéliennes et les communautés affectées » à la patience, ajoutant que « la CPI n’était pas la panacée ». Faisant allusion à un argument avancé par les alliés d’Israël comme quoi une enquête mettrait en péril les futures négociations bilatérales, Bensouda a affirmé qu’ « il fallait voir la poursuite de la paix et de la justice comme des impératifs se renforçant mutuellement ».
Bensouda a déclaré que le tribunal concentrerait « son attention sur les prétendus offenseurs les plus notoires ou ceux supposés avoir le plus de responsabilité dans les crimes commis ». Les promesses de la campagne électorale de Netanyahu d’annexer la terre de Cisjordanie ont été mentionnées par Bensouda dans sa requête à la chambre préliminaire sur la compétence territoriale.
Les médias ont rapporté que le gouvernement israélien avait une liste de centaines de fonctionnaires qui pourraient subir une enquête et être poursuivis par le tribunal, qui juge les individus, pas les États. Les fonctionnaires israéliens déclarent que certains États membres de la CPI « ont accepté d’avertir Israël de toute intention d’arrêter » ses citoyens à leur arrivée dans leurs pays.
Fournir des informations qui pourraient permettre à des suspects d’échapper à une enquête ou à une arrestation violerait vraisemblablement les obligations que les États membres ont, selon le Statut de Rome, fondateur de la CPI, de coopérer au travail du tribunal.
Pression politique
Bansouda a déclaré dernièrement « Nous comptons sur le soutien et la coopération des parties [Israël et les groupes armés palestiniens], ainsi que de tous les États Parties du Statut de Rome”. La CPI subira cependant une terrible pression politique alors que des États aussi puissants que les États-Unis, le Canada et l’Australie s’opposent à toute enquête sur leur allié Israël.
L’année dernière, le Canada a formulé une menace à peine voilée de retirer son soutien financier à la CPI si elle se lançait dans telle une enquête. L’administration Trump à Washington a imposé des sanctions économiques et des restrictions de visa à Bensouda et aux membres de son équipe.
Ces mesures extrêmes ont placé le personnel du tribunal en compagnie des « terroristes et trafiquants de drogue » ou d’individus et de groupes qui travaillent pour le compte de pays sanctionnés par les États Unis.Alors que le président Joe Biden a signé une rafale de décrets révoquant les mesures prises par son prédécesseur, le nouveau dirigeant américain a autorisé la poursuite des sanctions contre la CPI.
Au milieu des pressions pour qu’elle lève les sanctions, la Maison Blanche ne promet que de « les examiner en profondeur ». Au cours de sa première conversation téléphonique avec le président Biden, Netanyahou l’a exhorté à maintenir les sanctions en place. Israël a cependant dirigé son vitriol contre les défenseurs des droits des Palestiniens, particulièrement ceux qui sont engagés dans les mécanismes de la justice internationale comme la CPI.
Ses manœuvres ont inclus « des arrestations arbitraires, des interdictions de circuler et des révocations de résidence, ainsi que des attaques contre les organisations palestiniennes de droits de la personne humaine, y compris des raids ».
Balkis Jarrah, directeur adjoint de Human Rights Watch, a répondu que « les pays membres de la CPI devraient se tenir prêts à défendre farouchement le travail du tribunal contre toute pression politique ».
Jarrah a ajouté que « tous les regards vont aussi se porter sur le prochain procureur, Karim Khan, qui va prendre le relais et avancer rapidement tout en faisant la démonstration d’une totale indépendance, en s’assurant que même les plus puissants n’échappent pas à leurs responsabilités ».
Source : The Electronic Intifada
Traduction : J. Ch. pour l’Agence média Palestine
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