Israël se voit reprocher de recruter en sol canadien pour son armée
Par Marie Vastel
Correspondante parlementaire
Un groupe de citoyens somme Ottawa d’intervenir pour faire cesser ce qu’il allègue être du recrutement illégal de soldats au Canada pour le compte de l’armée israélienne. Dans une lettre adressée au ministre de la Justice, David Lametti, et dont Le Devoir a obtenu copie, cette centaine de signataires accuse le consulat d’Israël à Toronto d’agir en tant que « facilitateur de ce recrutement » et réclame que ses employés soient poursuivis par la justice canadienne.
Des professeurs d’université, des auteurs, des représentants syndicaux, des citoyens et des militants pour les droits des Palestiniens plaident qu’en lançant des invitations à rencontrer des représentants des Forces de défense israéliennes (FDI), le consulat d’Israël à Toronto mène du recrutement pour le compte de l’armée du pays.
Photos à l’appui, le groupe rapporte qu’une telle invitation a été lancée sur le site Web du consulat en novembre 2019. Cet appel indiquait, en hébreu et en anglais, qu’un « représentant des FDI arrive pour visiter le consulat de Toronto. Ceux qui sont désireux de s’enrôler dans l’armée israélienne ou qui n’ont pas accompli leur devoir en vertu de la Loi sur le service militaire sont invités à prendre rendez-vous ».
Une recherche du Devoir sur le site du consulat a permis de retrouver d’autres invitations semblables, en 2014 et en 2018.
Le groupe de citoyens rapporte en outre qu’un colonel des FDI a également visité une école confessionnelle de Toronto, pour y « parler de ses expériences comme nouvelle recrue et comme commandant expérimenté ». Des images de l’événement ont été publiées sur le compte Instagram du consulat en mai 2019, selon des captures d’écran jointes à la preuve acheminée au ministre Lametti.
La lettre au ministre note que la Loi canadienne sur l’enrôlement à l’étranger interdit de recruter ou d’inciter une personne à s’enrôler « dans les forces armées d’un État étranger ».
« Le consulat israélien à Toronto a annoncé à plusieurs reprises qu’il avait un représentant des FDI disponible pour des rendez-vous pour quiconque souhaiterait rejoindre l’armée — et pas seulement pour ceux qui sont tenus de faire le service [militaire] obligatoire », déplore la missive envoyée au ministre ce lundi. La lettre allègue également que l’armée israélienne aurait, « pendant des années, mené des programmes dans des écoles et des organisations communautaires canadiennes qui visent à inciter des personnes au Canada à s’enrôler », par l’entremise de « présentations, en personne et à distance ».
Les signataires, qui comptent aussi le philosophe Noam Chomsky et le cofondateur du groupe rock Pink Floyd, réclament une « enquête approfondie » et que, si leurs allégations s’avèrent, « des accusations soient portées contre toutes les personnes impliquées dans le recrutement et l’encouragement du recrutement au Canada pour les FDI ». Le groupe cible notamment la consule générale, le consul adjoint et un troisième employé qui étaient en poste à Toronto à l’époque des événements reprochés.
Le consulat d’Israël au Québec s’est chargé de réagir aux allégations. Le consul général, David Levy, rétorque que « ces services consulaires que nous fournissons sont réservés aux citoyens israéliens et ne concernent pas les non Israéliens qui se présentent comme volontaires pour l’armée ». Israël exige de ses ressortissants un service militaire, et tout citoyen vivant à l’étranger doit régler son statut après l’âge de 16 ans et demi. En leur donnant accès à des représentants des FDI, le consulat fait valoir qu’il leur fournit « ces services pour aider ces Israéliens à éviter des complications lors de leur retour en Israël ».
L’école confessionnelle de Toronto visée par la plainte n’a pas répondu aux demandes d’explications du Devoir.
Interprétations divergentes
La plainte officielle acheminée au ministre Lametti est signée par l’avocat John Philpot, membre du mouvement BDS-Québec, par le cofondateur du groupe Palestiniens et Juifs unis, le Montréalais Bruce Katz, et un rabbin de Hamilton David Mivasair. Le mouvement BDS désigne des campagnes de « Boycottage, désinvestissement et sanctions » contre l’État juif.
Ces trois signataires craignent que le consulat d’Israël enfreigne la Loi sur l’enrôlement étranger, car celle-ci interdit le recrutement de ressortissants canadiens. La loi prévoit toutefois une exception : l’interdit ne s’applique pas aux « fonctionnaires ou agents consulaires ou diplomatiques lorsqu’ils enrôlent des personnes qui sont des ressortissants des pays qu’ils représentent et non des ressortissants du Canada ».
Mais bien que le consulat d’Israël assure ne recruter que des individus qui sont citoyens israéliens, les contestataires estiment que cela empêche même le recrutement de citoyens ayant la double citoyenneté canadienne et israélienne.
Un ancien diplomate canadien qui a été en poste à Israël n’a toutefois pas la même interprétation.
« Si vous avez la double nationalité, vous êtes un citoyen israélien et ils ont donc le droit [de vous recruter], en vertu de l’exception à la loi. Mais l’invitation n’est pas claire à 100 % à savoir s’ils cherchent aussi des ressortissants qui ne sont que citoyens canadiens, auquel cas cela serait inapproprié », note cette personne, qui préfère garder l’anonymat pour protéger ses nouvelles activités professionnelles. « La situation est floue. »
Costanza Musu, professeure associée d’affaires internationales à l’Université d’Ottawa, a elle aussi du mal à se prononcer, car l’invitation du consulat est « ambiguë » puisqu’elle n’explicite pas à qui elle s’adresse. « À première vue, on ne dirait pas qu’il s’agit d’un acte de recrutement actif », observe toutefois Mme Musu, puisque l’avis du consulat laisse le soin aux individus de réclamer un rendez-vous et de faire les démarches eux-mêmes.
Ce genre d’offre de conseils de la part d’un consulat à ses ressortissants n’a rien d’inhabituel, corrobore l’ancien ambassadeur Gar Pardy. Les consulats canadiens font pareil pour leurs citoyens à l’étranger, note celui qui a aussi été chef des services consulaires au ministère des Affaires étrangères. « Ce qui ne serait pas légitime, c’est si cet officier militaire discutait de façon générale avec des Canadiens sur la possibilité de s’enrôler dans les Forces de défense israéliennes. »
Les agents consulaires profitent d’une certaine immunité diplomatique, en vertu des lois internationales. Mais leur travail doit être conforme aux lois canadiennes. S’il ne l’est pas ? M. Pardy n’ose pas se prononcer, notant qu’il reviendrait aux tribunaux de trancher cette « zone floue » de la diplomatie.
Voir aussi : Aux policiers d’enquêter sur le recrutement de soldats pour Israël, dit Ottawa (ici)
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