Traduit de l’anglais par PAJU.
Veuillez noter que toutes les phrases en gras ont été mises en gras par PAJU pour souligner ce que nous considérons comme particulièrement important. Ces phrases n’apparaissent pas en gras dans l’article original publié dans Substack.
Quiconque a un jour remis en question la validité du modèle de propagande Chomsky-Herman des médias de masse a sans doute vu son scepticisme mis à l’épreuve au cours des vingt-deux derniers mois. En particulier, l’axiome selon lequel les médias « servent à mobiliser le soutien aux intérêts particuliers qui dominent l’État » en déformant ou en occultant les faits, inspire la couverture médiatique de Gaza par les médias occidentaux. De plus, la pratique consistant à distinguer entre victimes « méritantes » et « indignes », « présentant l’agression meurtrière comme une défense de la liberté », résume parfaitement la couverture médiatique dominante des massacres aveugles et brutaux de civils palestiniens par Israël.[1]
Le « consentement » à cette barbarie n’aurait pu être « fabriqué » sans la collaboration uniforme d’un système médiatique faible et malléable. Et si l’on pourrait s’attendre à une couverture plus impartiale de la part des médias publics, cela n’a malheureusement pas été le cas. La CBC (Canadian Broadcasting Corporation), le diffuseur public national canadien pour la radio, la télévision et l’information en ligne, constitue un exemple flagrant de cet échec lamentable. En refusant de fournir une couverture exacte, honnête et complète de l’attaque brutale d’Israël contre Gaza, la CBC a privé les Canadiens/Canadiennes de l’information dont ils ont besoin pour agir selon leur conscience et faire pression sur leur gouvernement afin qu’il contribue à mettre fin à cette barbarie. En réalité, la CBC a rendu les Canadiens/Canadiennes complices d’un génocide.
Dans l’ensemble, à l’instar des médias d’autres pays occidentaux, la couverture canadienne de la dévastation de Gaza manque cruellement de vérité et d’équilibre, principalement en raison de la domination des médias de droite, menés par le réseau Postmedia. Avec un fonds spéculatif américain comme actionnaire majoritaire, Postmedia contrôle environ 112 journaux canadiens, tous prônant une ligne éditoriale uniforme. Son journal phare, le National Post, illustre parfaitement ce parti pris, en produisant un contenu éditorial sur la crise actuelle qui aurait facilement pu être rédigé par le Likoud – n’eût été des formulations simplistes plus adaptées à un bulletin d’information de collège.
Confrontés à ce paysage médiatique sombre, de nombreux Canadiens/Canadiennes se sont tournés vers la CBC, espérant obtenir des points de vue plus éclairés et impartiaux sur ces terribles événements. Ils ont découvert une chaîne publique qui relayait les mêmes récits biaisés et produisait les mêmes reportages trompeurs et manipulateurs que le reste de l’establishment médiatique. De plus, alors qu’un nombre croissant de Canadiens et Canadiennes manifestaient leur mécontentement face à la couverture de la CBC, celle-ci a réagi par des excuses lâches et auto-justifiées.
La CBC et Gaza : un mandat trahi
Pour remplir son mandat, la CBC a défini une mission, guidée par ses Normes et pratiques journalistiques (NPJ), dans laquelle elle s’engage à « servir l’intérêt public » en « informant, révélant et améliorant la compréhension des questions d’importance publique », tout en demeurant « indépendante de tout lobby et de toute influence politique ou économique ». Mais dès le début de l’attaque contre Gaza, la CBC a trahi chacun de ces principes fondamentaux, ainsi que d’autres, et continue de le faire.
Premièrement, à l’instar d’autres médias occidentaux, la CBC a omis de fournir le contexte essentiel de l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, omettant systématiquement de mentionner l’occupation illégale de 75 ans et ses ravages, ainsi que les dizaines de résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, s’étalant sur des décennies, condamnant Israël. Tandis que l’attaque israélienne dévastatrice se déroulait, la CBC a gravement sous-estimé ou omis d’autres facteurs clés, tels que les inculpations judiciaires contre Israël, la destruction intentionnelle du système de santé de Gaza, le black-out médiatique et les manifestations mondiales contre le génocide.
Actes d’accusation contre Israël
Il est à noter que la CBC a omis de rendre compte des plus récentes poursuites engagées contre Israël en vertu du droit international : la décision de janvier 2024 de la Cour internationale de justice (CIJ) selon laquelle Israël commet un génocide « plausible » ; la décision de juillet 2024 de la CIJ déclarant illégales les 57 ans d’occupation israélienne ; le vote de septembre 2024 de l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) en faveur de sanctions contre Israël pour ces crimes ; et les mandats d’arrêt contre le Premier ministre et le ministre de la Défense israéliens. Après une brève mention lors de leur annonce, ces décisions ont été effacées de la couverture de la CBC, en contradiction directe avec sa mission : « investir notre temps et nos compétences pour apprendre, comprendre et expliquer clairement les faits à notre public ».
La décision de l’Assemblée générale des Nations Unies a également souligné l’obligation légale des États membres de mettre fin à leur complicité avec le régime d’apartheid israélien, un point réaffirmé par la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, lors de sa visite au Canada en novembre 2024. Elle a profité de l’occasion pour rappeler au gouvernement canadien ses responsabilités en vertu du droit international et l’a exhorté à procéder à un audit de sa collaboration avec Israël.
La CBC a ignoré cette occasion d’enquêter sur les obligations juridiques du Canada ni d’examiner le rapport récemment publié d’Albanese documentant la « catastrophe de la terre brûlée » qu’Israël infligeait à Gaza. La CBC n’a même pas mentionné l’annulation brutale des rencontres prévues entre Albanese et des représentants du gouvernement canadien, qu’elle a attribuée à la pression « très virulente, très agressive » des groupes de pression pro-israéliens. Ces omissions sont à la fois flagrantes et lourdes de conséquences : si les Canadiens et Canadiennes en avaient été pleinement informés, ils auraient probablement exigé une certaine forme d’action de la part de leur gouvernement, peut-être même l’imposition de sanctions à Israël.
Destruction du système de santé de Gaza
La CBC a également largement sous-estimé la destruction dévastatrice du système de santé de Gaza. En juillet 2024, 99 professionnels de la santé ont écrit au président Biden pour déclarer que « chaque signataire de cette lettre a soigné des enfants à Gaza qui ont subi des violences qui ont dû être délibérément dirigées contre eux ». En août, des professionnels de la santé canadiens ont envoyé une lettre similaire au premier ministre Trudeau. En octobre 2024, la Commission d’enquête internationale indépendante des Nations Unies sur le territoire palestinien occupé a publié un rapport qualifiant la destruction du système de santé de Gaza par Israël de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Une étude du prestigieux Lancet a estimé le nombre de morts à Gaza à 186 000. La CBC a ignoré ces lettres urgentes et a délibérément occulté ces conclusions essentielles et accablantes. De plus, plusieurs membres du personnel médical à Gaza – dont un pédiatre américain et un chirurgien britannique – ont rapporté cet été que les forces israéliennes semblaient tirer délibérément sur des enfants, ciblant des parties spécifiques du corps certains jours, « presque comme un tir à la cible ». La CBC n’a fourni aucun reportage ni aucun commentaire sur cette affirmation alarmante.
Black-out médiatique
Le black-out médiatique israélien à Gaza est un autre problème crucial ignoré par la CBC. Les journalistes et professionnels des médias étrangers sont interdits d’entrée à Gaza, et parmi ceux qui s’y trouvaient déjà, plus de 192 ont été tués, dont beaucoup ont été délibérément pris pour cible. En effet, plus de journalistes ont péri à Gaza que dans tout autre conflit de l’histoire, dépassant le total combiné des victimes de la guerre de Sécession, des deux guerres mondiales, des guerres de Corée et du Vietnam, des guerres de Yougoslavie, de la guerre d’Afghanistan et de la guerre en Ukraine. Environ 380 autres journalistes ont été blessés.
Bien que l’on ne puisse reprocher à la CBC son accès limité à Gaza, cette restriction est un élément crucial de l’histoire. La chaîne devrait dénoncer la stratégie évidente d’Israël visant à dissimuler des preuves essentielles, ce qui aiderait non seulement le public à comprendre pourquoi ses journalistes peinent à « confirmer » certains faits et s’appuient autant sur des sources israéliennes, mais aussi à révéler aux Canadiens et Canadiennes l’étendue réelle de la liberté d’information offerte par le « grand ami et allié » du Canada et la « seule démocratie du Moyen-Orient ». Au lieu de cela, la CBC cède volontiers aux exigences israéliennes, acceptant même de ne pas enregistrer ni diffuser d’images aériennes de Gaza lors de la couverture d’un récent vol de largage d’aide, tandis qu’ITV News a ignoré la même directive et diffusé des images aériennes saisissantes de la dévastation.
Sélection biaisée des sources
La CBC met en avant son engagement en faveur de la « diversité d’opinions », mais privilégie régulièrement les porte-parole pro-israéliens. Par exemple, dans un contexte de nombreuses controverses orchestrées au sujet des chiffres de victimes du soi-disant « ministère de la Santé dirigé par le Hamas », CBC News Live a diffusé une interview d’un professeur sioniste affirmant que le nombre de morts palestiniens avait été gonflé. Cela contredisait les agences internationales, ainsi que le Lancet, qui n’ont trouvé aucune preuve de surestimation du nombre de morts et ont même estimé le nombre de morts à près de six fois celui annoncé par le Hamas. L’animateur de la CBC n’a pas contesté les affirmations du professeur, lui permettant de rejeter les statistiques d’un « État policier comme le Hamas, qui contrôle très étroitement l’information » – contrairement à Israël, apparemment. Au-delà de la mauvaise qualité de ses sources, ce segment a valu à la CBC la réputation douteuse de complicité active dans la négation du génocide.
Plaintes à la CBC
Le Bureau de l’ombudsman de la CBC a été submergé de plaintes concernant la couverture médiatique d’Israël et du Moyen-Orient. Il a reçu près de 1 900 griefs entre le 7 octobre 2023 et mai 2024, soit environ 40 % de toutes les plaintes pour cette période. Bien que la CBC affirme que plus de la moitié de ces plaintes protestaient contre des préjugés anti-israéliens, un examen plus approfondi révèle que bon nombre d’entre elles provenaient d’organisations pro-israéliennes plutôt que d’individus. L’une d’elles occupe une place importante : Honest Reporting Canada (HRC), un groupe que l’ombudsman Jack Nagler décrit avec euphémisme comme « une organisation qui surveille la couverture médiatique d’Israël et du Moyen-Orient » – un peu comme si le Troisième Reich était une institution vouée à la réforme sociale – une affirmation techniquement exacte, mais grotesquement évasive quant à son véritable objectif.
Comme le sait M. Nagler, HRC est un réseau de défense (secrètement) bien financé dont les activités sont étroitement liées au gouvernement israélien. De plus, en tant qu’organisme de bienfaisance enregistré au Canada, le contribuable canadien contribue au financement de ses efforts malveillants visant à qualifier les crimes d’Israël de légitime défense. Machine à critiquer et à réprimer toute critique d’Israël, souvent en recourant à la diffamation antisémite, HRC nourrit une aversion particulière pour la CBC, qui représente près de 40 % de ses alertes à l’action, de ses éditoriaux et de ses plaintes.
Dans les semaines qui ont suivi les événements du 7 octobre 2023, HRC a critiqué les journalistes de CBC à 19 reprises et se vante d’avoir mobilisé ses abonnés pour envoyer plus de 25 000 courriels au président de CBC. Les journalistes sont souvent directement ciblés par HRC, ce qui a incité le Projet canadien pour la liberté de la presse à exhorter les reporters à signaler les menaces et les violations de la liberté de la presse dont HRC est à l’origine. En novembre 2024, le directeur adjoint de HRC, Robert Walker, a été accusé au criminel de 17 chefs de méfait pour avoir prétendument vandalisé des propriétés dans un quartier de Toronto avec des graffitis antipalestiniens. L’ombudsman Nagler était bien conscient de cette dynamique et aurait dû en faire preuve de transparence dans ses rapports.
Processus d’examen des plaintes auprès de l’ombudsman
M. Nagler a publié plusieurs analyses de ces plaintes, mais il convient de noter que le Bureau de l’Ombudsman n’évalue que le contenu des reportages, et non les omissions significatives. Cette approche restrictive constitue une faille majeure dans le processus d’examen des plaintes de la CBC, car l’incapacité de la chaîne à fournir un contexte crucial constitue la principale faiblesse de sa couverture.
Dans ses analyses, Nagler déplore les divisions sur le sujet et affirme que le « brouillard de la guerre » complique la compréhension des faits – bien que ce « brouillard » soit en réalité un euphémisme bien choisi pour désigner le black-out médiatique israélien. Ses analyses recourent trop souvent au sophisme des « deux camps » – la prétention délibérée à une équivalence dans le rapport de force asymétrique entre Israël et Gaza. Et, comme on pouvait s’y attendre, les analyses concluent presque systématiquement que la CBC a respecté ses Normes et pratiques journalistiques (NPI), se contentant de critiques superficielles sur des points mineurs.
Trop souvent, ses critiques concèdent des points aux plaignants pro-israéliens. Par exemple, dans un cas, un plaignant a soutenu qu’une interview radiophonique avec un professeur était biaisée contre Israël, en raison du « mhm » de l’animateur lorsque l’invité a mentionné « les 17 ans de siège de Gaza ». Malgré ces preuves triviales, Nagler a convenu que l’animateur n’avait pas respecté les règles d’impartialité de la CBC : « Nous ne promouvons aucun point de vue particulier sur les questions de débat public.» Bien qu’il ait souligné l’absence de preuve de partialité intentionnelle de la part de l’animatrice, il a soutenu qu’elle « a influencé l’interprétation du segment par les auditeurs » – une conclusion non seulement invraisemblable, mais qui ignore aussi de manière flagrante la réalité factuelle indéniable du siège de Gaza.
Une autre enquête a porté sur la frappe de missile dévastatrice contre l’hôpital baptiste al-Ahli de Gaza le 17 octobre 2023. Israël a nié toute responsabilité, bien que sa culpabilité ait été implicitement démontrée par ses efforts pour limiter les dégâts, notamment la diffusion d’une vidéo fabriquée et de faux enregistrements audio. Un abonné d’Honest Reporting Canada s’est opposé au titre de la CBC, « Des centaines de morts dans une frappe aérienne israélienne sur un hôpital de Gaza », affirmant qu’il n’y avait aucune preuve de la responsabilité d’Israël et arguant que le Hamas n’était pas une source fiable. L’ombudsman Nagler a fait l’affirmation incongrue que, bien que « le titre soit techniquement exact », il n’a jamais été destiné à suggérer que la CBC imputait la responsabilité à Israël.
Il a ensuite félicité la CBC pour avoir mis à jour l’histoire afin de donner la priorité à l’armée israélienne comme source plus fiable, une assurance renforcée par Nancy Waugh, directrice principale des normes journalistiques, qui a déclaré que le déni d’implication israélien serait désormais intégré dans tous les rapports ultérieurs sur cet incident, et a ajouté – gratuitement – que la CBC avait « été exceptionnellement claire sur la façon dont le Hamas opère. »
Le directeur général d’Honest Reporting Canada a personnellement déposé une plainte concernant un article sur une jeune Palestinienne ayant perdu ses deux jambes lors d’une frappe de missile israélienne, arguant qu’il n’y avait aucune preuve de l’implication israélienne. Nagler a admis qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour attribuer définitivement la frappe à Israël, mais a qualifié cette dernière de « cause manifestement la plus probable ». On peut se demander pourquoi, si la cause était si évidente, il a d’abord examiné la plainte ; quoi qu’il en soit, plutôt que d’appuyer sa position sur les preuves disponibles, comme le rapport de l’UNICEF documentant « la plus grande cohorte d’amputés pédiatriques de l’histoire », Nagler a inexplicablement admis le point de vue du plaignant.
Dans l’ensemble, ces analyses – ainsi que d’autres de nature similaire – révèlent de graves problèmes qui compromettent la mission première de la CBC, qui consiste à consacrer temps et expertise à la compréhension et à la communication honnête des faits à son public. Le fait que plusieurs analyses aient été saluées par Honest Reporting Canada est pour le moins troublant – et profondément révélateur. Recevoir des éloges d’une organisation aussi trompeuse et compromise soulève de sérieuses questions quant à l’impartialité et à la crédibilité du processus de surveillance de la CBC.
Critiques de la CBC par d’autres médias
La couverture de CBC a été critiquée par quelques médias réputés, notamment le site d’information canadien The Breach, qui a publié plusieurs articles dénonçant les reportages biaisés et de mauvaise qualité de CBC sur la campagne génocidaire israélienne. L’un de ces articles, rédigé par un ancien producteur de CBC, a révélé l’« effet paralysant » du parti pris antipalestinien de la chaîne, notamment l’annulation d’invités palestiniens et l’intense pression exercée par les campagnes de plaintes menées par Honest Reporting Canada. Le producteur a finalement été accusé d’antisémitisme et a finalement démissionné, frustré.
L’article de Breach a attiré l’attention de Brodie Fenlon, directeur général et rédacteur en chef de CBC News, qui a réagi sur la défensive le lendemain. Il a suggéré qu’en raison de la nature « personnelle et conflictuelle » de l’affaire, CBC ne serait « jamais en mesure de satisfaire les attentes de tous », comme si flatter les préjugés personnels devait être un objectif acceptable d’un journalisme honnête et compétent. Exprimant sa déception face aux allégations de son ancien employé, Fenlon a rejeté les « conclusions générales » de l’article comme étant fausses, puis a présenté un mélange autojustifiant, embarrassant et parfois larmoyant d’excuses et d’arguments trompeurs. Fenlon a déploré les « moments où nous n’avons pas été à la hauteur de nos valeurs d’inclusion… les moments où nous avons trébuché, où nous avons été trop prudents ou pas assez prudents… Combien d’entre nous ont eu des amis ou des familles déchirés par cette histoire ? Combien d’entre nous ont ressenti de la colère ou de la tristesse en parlant à quelqu’un qui ignorait son histoire et ses complexités ? »
Ce faux mea culpa relève davantage d’une stratégie de déviation des critiques légitimes que d’une tentative sincère de répondre aux arguments de l’ancien employé. Il crée l’illusion d’un remords – sans que l’on sache précisément de quoi il s’agit – sans admettre la nécessité d’un changement significatif dans la manière dont les reportages sont présentés, dont les voix sont privilégiées et dont les décisions éditoriales sont prises. Il ignore également une vérité fondamentale : pour un camp de ce qu’on appelle la « clivage », le coût émotionnel est une souffrance inimaginable, tandis que pour l’autre, il s’agit surtout du malaise d’être confronté à sa propre complicité dans cette souffrance. Et s’il y a une quelconque ignorance de « l’histoire et de ses complexités », la faute en incombe entièrement à la CBC et aux autres médias occidentaux, en raison de leur omission quasi totale du contexte historique ayant mené au 7 octobre.
Compte tenu de l’ampleur des morts et des destructions à Gaza, il est difficile d’imaginer une réponse plus creuse et plus futile de la part du rédacteur en chef.
Enfin, un autre article de The Breach a mis en lumière une nouvelle attitude défensive de la part de la direction de CBC. L’article traitait des plaintes d’un professeur qui critiquait CBC pour avoir utilisé des adjectifs « toxiques » pour décrire la violence du Hamas, tout en employant un langage plus neutre pour caractériser l’agression profondément plus brutale d’Israël. Nancy Waugh, directrice principale de CBC, a défendu ce langage, invoquant une distinction dans la manière dont la violence est exercée : les hommes armés du Hamas « attaquent directement les Israéliens », tandis que la violence israélienne est « menée à distance », les conséquences étant invisibles pour les responsables et la source du préjudice invisible pour les victimes. Cette justification grotesque de la violence d’État, minimisant sans vergogne son bilan catastrophique pour les victimes, doit figurer dans les médias occidentaux comme l’une des défenses les plus effroyables du génocide israélien, malgré une concurrence féroce.
Capitulation face à la pression, pas aux principes
En résumé, à l’instar d’autres médias occidentaux, la couverture de Gaza par CBC ne se distingue pas de celle des grands médias, qui ont façonné l’opinion publique sur le génocide par un langage sélectif, l’omission d’un contexte historique crucial et la déshumanisation des Palestiniens. Cependant, compte tenu de la cruauté particulière de la campagne génocidaire d’Israël, les Canadiens et Canadiennes s’attendent légitimement à mieux de leur radiodiffuseur public. Gaza a subi le bombardement aérien le plus intense de l’histoire, avec une densité de bombardements au kilomètre carré dix fois supérieure à celle du Vietnam. Les experts estiment que 100 000 tonnes d’explosifs ont été larguées sur cette minuscule enclave, soit l’équivalent de six Hiroshima.
Bien que le bilan officiel des morts à Gaza soit d’un peu plus de 62 000, il s’agit très certainement d’une sous-estimation considérable. Des estimations plus prudentes suggèrent que le chiffre réel pourrait être plus proche de 500 000 Palestiniens tués dans cette attaque incessante. Un nombre disproportionné de ces morts sont des enfants – jusqu’à 18 000 –, tandis que l’UNICEF estime que plus de 50 000 enfants ont été tués ou blessés. Ils ont été déchiquetés par des bombes, délibérément pris pour cible par des tireurs embusqués, affamés, gelés, laissés pour morts dans des couveuses ou étouffés sous les décombres. Si les Canadiens étaient régulièrement confrontés à ce carnage, leur indignation résonnerait certainement jusque dans les couloirs du pouvoir.
Mais au lieu de cela, la CBC cède à maintes reprises aux pressions des groupes de défense pro-israéliens en minimisant ou en occultant délibérément l’ampleur réelle de la violence israélienne contre les Palestiniens. Aucun critique raisonnable ne nierait l’énorme pouvoir de ce lobby, qui a toujours eu recours à l’intimidation, au harcèlement et à la diffamation pour faire taire les critiques envers Israël. Mais nous vivons une époque atypique : il s’agit d’un génocide au grand jour. Soumise uniquement au public canadien – et non aux actionnaires des fonds spéculatifs –, la CBC devrait être mieux protégée de ces critiques qui polluent notre paysage médiatique. Pourtant, trop souvent, elle acquiesce encore plus facilement, comme nous l’avons constaté à maintes reprises.
Conclusion : une trahison du mandat aux conséquences fatales
La CBC est depuis longtemps la cible de groupes populistes de droite qui réclament son définancement, le chef du Parti conservateur promettant même de donner suite à ce programme. Les Amis des médias canadiens, un groupe de défense qui défend la radiodiffusion publique et la CBC depuis 40 ans, doivent maintenant se demander si le combat en vaut la peine, compte tenu du bilan désastreux de la CBC à Gaza. Il en va de même pour les nombreux journalistes de la CBC qui se trouvent profondément compromis par la soumission flagrante du réseau aux groupes de pression pro-israéliens.
Un membre du personnel de la CBC a décrit la couverture du réseau comme « le type de reportage qui sera un jour enseigné dans les écoles et les musées » et a déclaré qu’elle avait contribué au génocide. Dans le documentaire Failing Gaza: Behind the Lens of Western Media, un chirurgien gazaoui remarque : « À l’avenir, lorsque nous aurons un musée consacré à ce génocide… il y aura une aile dédiée aux journalistes qui en ont été les complices. »
Si ces journalistes et leurs responsables doivent un jour faire face à leur propre conscience, la douloureuse réalité est que nous sommes tous impliqués dans leur échec. Comme le déclare Chomsky : « Les médias veillent à ce que nous n’assumions pas nos responsabilités et à ce que les intérêts du pouvoir soient servis, et non les besoins des populations qui souffrent, ni même ceux des [citoyens nationaux], qui seraient horrifiés s’ils voyaient le sang couler de leurs mains.» La CBC a non seulement déformé la réalité des crimes odieux commis par Israël, mais elle a aussi rendu les Canadiens complices de ces crimes, leurs mains tachées du sang de Palestiniens innocents.
Ross MacKay est professeur émérite à Vancouver Island University et membre fondateur de Mid-Islanders for Justice and Peace in the Middle East.
[1] Edward S. Herman and Noam Chomsky, Manufacturing Consent: The Political Economy of the Mass Media (New York: Pantheon Books, 1988), pp. xi, 37.
https://alecmackay855192.substack.com/p/gaza-and-the-cbc-the-public-broadcaster
Ross MacKay
@alecmackay855192
Professor Emeritus at Vancouver Island University, et membre fondateur de Mid-Islanders for Justice and Peace in the Middle East.
Voir aussi:
- Canada: demission d’un journaliste de CBC : https://trt.global/fran%C3%A7ais/article/18221278
- https://www.cjpmemap.ca/alert_2025_05_06_cbc_news
- https://reporteri.net/fr/nouvelles/bateau/Un-journaliste-d%C3%A9missionne-de-Reuters-apr%C3%A8s-8-ans-de-service-honteux-%C3%A0-la-propagande-isra%C3%A9lienne/
(anglais)
- CBC has whitewashed Israel’s crimes in Gaza. I saw it firsthand ⋆ The Breach
- https://www.aa.com.tr/en/americas/journalist-resigns-from-canadian-public-broadcaster-for-cbc-s-complicity-in-gaza-genocide/3364680
- Open letter to CBC regarding Palestine coverage: CBCPalestine
· CBC admits to dehumanizing Palestinians on air after CJPME pushback – The Media Accountability Project
· https://www.cjpmemap.ca/alert_2025_05_06_cbc_news
Rally outside Winnipeg CBC building protests broadcaster’s Gaza coverage
- https://www.cbc.ca/news/canada/manitoba/winnipeg-cbc-gaza-protest-1.7610972
- https://truthout.org/articles/as-a-journalist-im-ashamed-to-see-western-media-failing-gaza-reporters/?utm_source=Truthout&utm_campaign=4b4f876feaEMAIL_CAMPAIGN_2025_08_13_09_08&utm_medium=email&utm_term=0_bbb541a1db-4b4f876fea-650194349
NOTE DE PAJU:
Palestiniens et Juifs unis a été fondé en novembre 2000, peu après le début de la deuxième Intifada. À ce titre, nous bénéficions d’un quart de siècle d’expérience, tant avec les machins politiques qu’avec les médias corporatives peu transparents. Au cours de ces 25 années d’activité pro-palestinienne, je peux attester, en tant que membre fondateur de PAJU, que la CBC a été l’une des entités médiatiques les moins transparentes et certainement l’une des plus pro-israéliennes et anti-palestiniennes.
C’est pourquoi nous avons choisi de publier l’intégralité de cet aperçu accablant de la CBC, rédigé par Ross Mackay, et que nous l’avons également traduit en français. Puisque nous envoyons nos bulletins non seulement aux médias et aux particuliers anglophones, mais aussi à ceux et celles qui partagent la langue de Molière au Québec et en France, nous estimons qu’il est de notre devoir moral, compte tenu de l’évaluation méticuleuse de M. Mackay de la turpitude morale et de la médiocrité générale de la CBC en tant que radiodiffuseur « public », que son article paraisse non seulement en anglais, mais aussi en français.
J’ajoute à ces notes une réponse que j’ai reçue de Jack Nagler, qui n’était pas l’ombudsman de la CBC à l’époque, mais occupait plutôt le poste de «Director, Journalistic Public Accountability and Engagement CBC». Esther Enkin était alors l’ombudsman de la CBC. Nagler est devenu ombudsman de la CBC en 2018.
Je vous suggère de lire la réponse de M. Nagler à ma critique de la couverture de la CBC, puis de relire avec introspection l’excellente analyse de Ross Mackay sur le « Double Speak » de la CBC. Je suis certain que vous remarquerez la similitude entre ce que M. Mackay décrit à propos de la CBC et la réponse de Jack Nagler.
La CBC est ce qu’elle est parce que les marionnettes qui gouvernent ce pays sont ce qu’ils sont. Il est important que nous les voyions pour ce qu’ils sont vraiment, et non pour ce que nous aimerions croire.
Comme le petit enfant dans la foule voyant l’Empereur défiler devant la foule s’est écrié avec toute son honnêteté enfantine : « L’Empereur est nu. »
Bruce Katz
Co-président et membre fondateur de Palestiniens et Juifs unis (PAJU)
Addendum
From Jack Nagler CBC News
Bruce Katz
Ile Perrot, Quebec
Dear Bruce Katz:
I am writing in reply to your email of April 8 addressed to Esther Enkin, CBC Ombudsman, concerning CBC’s coverage of recent deadly protests at the Israeli-Gaza border. It was “abysmal”, you wrote, suggesting that even in its choice of language, CBC News had been “intimidated” by the “pro-Israel lobby groups”.
Jennifer McGuire, General Manager and Editor in Chief, has asked me to reply to your email.
Let me assure you right at the beginning that CBC is not intimidated by pro-Israeli voices nor, for that matter, is it intimidated by pro-Palestinian voices.
CBC journalists are bound by a code of ethics that is considered to be rigorous, comprehensive and detailed. It is formulated in our own handbook of Journalistic Standards and Practices, which stresses accuracy, lack of bias and integrity in reporting. It is distributed to our journalists, producers, editors and managers at all levels of the Corporation in Canada and abroad. We expect them to be familiar with and follow it scrupulously. If you wish to read it, it is also publicly available on the CBC web site. You can find it here: http://www.cbc.radio-canada.ca/en/reporting-to-canadians/acts-and-policies/programming/journalism/
While I regret you are disappointed in CBC, I certainly disagree with your view of our coverage. Let me explain why I say that in response to the two specific matters you raised.
First, you wrote that CBC coverage tried to obscure Israel’s “premeditated killing of unarmed protesters by instead talking about ‘clashes’, ‘confrontations’ and ‘rock-throwing’. As an example, you included a link to the pro-Israel web site Honest Reporting and a post about a March 30 report by CBC News Middle East correspondent Derek Stoffel.
You quoted Mr. Stoffel as saying in the report “Some of those men were throwing stones and Molotov cocktails at the Israeli forces on the other side and they responded with tear gas and rubber bullets and in some cases with live ammunition”. “Note the aversion to the use of live ammunition by the IDF”, you wrote.
Just to be clear, Mr. Stoffel reported throughout the day that Friday, March 30, as the protests that began peacefully soon turned deadly. The report you cited was broadcast at about 6:40am ET. At that point, Mr. Stoffel said, Palestinians were massing along the border fence with Israel for the Great March for Return demonstration. He said that as the day began, even before the protest had started, one Palestinian man had been killed. He was a young farmer working in a field, he said, when an Israeli tank shell landed in the vicinity killing him and wounding another Palestinian man.
As he was reporting, he added, “We have just heard from the Palestinian Information Ministry that a second Palestinian man has been killed in today’s demonstrations”.
The demonstration became increasingly violent as the day went on and the number of Palestinian casualties grew. In his report two hours later at 8:40am ET that morning Mr. Stoffel reported that at least seven Palestinian had been killed and hundreds wounded. “Live ammunition has been used”, he said, “and that has led to fatalities and a large number of wounded”. “The IDF has increased the number of troops in the area, including the number of sharpshooters”. He concluded the report by saying that Israeli human rights organizations are demanding an investigation into the IDF using live ammunition against unarmed protesters”.
CBC News Network carried reports by Mr. Stoffel every hour, often twice an hour, throughout the day Friday. As more reports of death and injury came in, he reported them. At noon, he said the number of wounded Palestinians had reached over a thousand. At 2pm ET he said the 12 Palestinians had been killed. In reports a few hours later, he said 15 Palestinians had been killed and over 1,400 wounded.
The point here is that it appears that you wrote to us after seeing one of the first reports about the protest. As it became bloodier through the day and the number of Palestinian casualties soared, we reported that too.
In a second example, you cited a CBCNews.ca story, also posted on March 30, under the headline, “At least 15 killed as Gaza-Israel border protest turns deadly”. You drew our attention to the story’s sub-headline “’Right of return’ mass sit-in organized by Hamas escalated into rock-slinging, tear gas firing”, writing that it “puts the onus on the Palestinians as the motive for the Israeli tear gas fire”.
Similar to the broadcast story, this online story was revised multiple times during the day. Among other things, the headline was changed to indicate the rising number of casualties. But, in a similar fashion, we should also have revised the sub-headline to better reflect the developing story. However, there is nothing in the existing sub-headline that could reasonably be understood as indicating causality. It simply says that the protest has “escalated into rock-slinging, tear gas firing”, giving equal weight to activities on both sides of the fence.
Moreover, you wrote, putting Right of return in “parentheses [sic]” suggests it is “pure invention” of the Palestinians, not a feature of “more than one hundred UN resolutions”.
The “Right of return” is a controversial matter, important to the Palestinians, rejected by the Israelis. We put “Right of return” in quotation marks to indicate that it is attributed (in this instance to the Palestinian protesters), not to CBC.
In addition, you wrote, the story “fails to mention the live fire from Israeli snipers”.
While early versions of the story posted Friday morning may not have simply because at that point there had been no live fire and very few casualties, I think you will find that as the violence increased later versions of the story talked about the use of live ammunition and at one point referred to “a row of [Israeli] snipers perched on a high earthen embankment facing the Gaza crowd.”
Finally, you suggested that we should include other views on the Palestinian-Israeli conflict.
In fact, I think you will find that in addition to our regular news coverage of events in the region – Mr. Stoffel’s reports among them – CBC News Opinion Section carries a broad range of views on this and other matters of interest and concern to Canadians. (You can find the section here: http://www.cbc.ca/news/opinion). It is CBC’s responsibility to ensure that Canadians are given a range of views and the opportunity and the information they need to make up their own minds about these issues and I believe we are doing that.
It is also my responsibility to tell you that if you are not satisfied with this response, you may wish to submit the matter for review by the CBC Ombudsman. The Office of the Ombudsman, an independent and impartial body reporting directly to the President, is responsible for evaluating program compliance with the CBC’s journalistic policies. The Ombudsman may be reached by email at Box 500, Terminal A, Toronto, Ontario M5W 1E6, or by fax at (416) 205-2825, or by email at ombudsman@cbc.ca.
Sincerely,
Jack Nagler
Director, Journalistic Public Accountability and Engagement
CBC News
