10 Fév, 2023

1147

Architecte de l’apartheid

Mike Krebs

Mike Krebs 1er mai 2012

Le soutien du Canada à Israël a pris de nombreuses formes, mais son plus grand cadeau a peut-être été son exemple

« Il n’y a pas de meilleur ami d’Israël que le Canada. Nous serons toujours là pour vous, et devant vous».

– Ministre des Affaires étrangères John Baird, Jérusalem, janvier 2012

Le soutien du Canada à Israël a une longue histoire, remontant même avant la fondation d’Israël. En fait, c’est le Canadien Lester B. Pearson qui a présidé le comité des Nations Unies qui a recommandé la partition de la Palestine et la création d’Israël en 1947. Pourtant, il ne fait guère de doute que les liens diplomatiques, militaires et économiques entre les deux pays se sont approfondis ces dernières années, couplés à une campagne concertée pour étouffer la critique d’Israël.

Le soutien indéfectible du gouvernement canadien à Israël est bien connu, en particulier dans les cercles de solidarité avec la Palestine à travers le Canada. Ce qui est moins compris, c’est la base de ce soutien. Bien que les liens économiques et géopolitiques soient certainement des facteurs importants, l’histoire commune du Canada et d’Israël en tant que sociétés de colons est essentielle pour comprendre le soutien continu du Canada à Israël. En termes simples, les deux pays ont été fondés sur le déplacement forcé des peuples autochtones et le vol de leurs terres et de leurs ressources. Et dans les deux cas, ces processus coloniaux se poursuivent jusqu’à nos jours.

La nature similaire du Canada et d’Israël en tant que sociétés de colons sert non seulement de base solide pour l’affinité idéologique, mais est également la base d’intérêts communs dans le domaine de la politique internationale alors que les deux pays font face aux tentatives continues de leurs populations autochtones de demander justice et réparation sur la scène mondiale.

Fournir un livre de jeu

Le soutien du Canada à Israël a pris de nombreuses formes, mais son plus grand cadeau a peut-être été un guide pratique pour établir et maintenir une société coloniale qui comprend un éventail de stratégies, de tactiques et de programmes pour prendre des terres, subjuguer les populations autochtones, et affaiblir leur résistance. Il convient également de noter que bon nombre de ces tactiques et stratégies ont été utilisées par le régime d’apartheid sud-africain, notamment le système Bantoustan et l’utilisation du Dom Pass pour restreindre les déplacements des Sud-Africains noirs.

La Loi sur les Indiens de 1876 doit être considérée non seulement comme la pièce maîtresse de la politique coloniale canadienne envers les peuples autochtones, mais aussi comme un modèle d’apartheid. La Loi sur les Indiens a consacré des droits, des relations et, au fil du temps, des conditions de vie très disparates entre les peuples autochtones et les colons canadiens. Elle représentait également une politique d’extermination, car elle facilitait l’assimilation forcée des peuples autochtones et privait les nations autochtones de leur droit de décider qui était et n’était pas « Indien ». Il s’agissait d’un processus très sexe-spécifique, car différentes normes de conservation du « statut » étaient appliquées aux femmes autochtones par rapport aux hommes, ce qui a entraîné la perte d’un grand nombre de femmes autochtones et de leurs descendants non seulement de leur statut reconnu en tant que peuples autochtones, mais aussi de leur capacité à rester dans leurs communautés.

Israël s’est depuis longtemps engagé dans des tentatives de réglementation de l’identité palestinienne, comme l’octroi aux Palestiniens à l’intérieur de ses frontières de la citoyenneté israélienne tout en les désignant comme des « Israéliens arabes », la délivrance d’une gamme complexe de différentes cartes d’identité aux Palestiniens dans les territoires occupés, limitant leur lieu de résidence et de voyage, ou retirer progressivement les droits de résidence à des centaines de milliers de Palestiniens ayant des liens avec la Cisjordanie et Gaza.

Le système de réservation du Canada a également joué un rôle central dans le déplacement et le confinement des peuples autochtones. Dans la majeure partie de ce qui est aujourd’hui le Canada, le gouvernement fédéral peut se référer aux traités comme affirmation que la terre a été occupée avec le consentement apparent de ses peuples autochtones, bien qu’il y ait aussi des régions, y compris la majorité de la Colombie-Britannique, où la colonisation et l’établissement des réserves ont eu lieu avec très peu de traités. Ce processus est celui qui se poursuit à ce jour de plusieurs façons, notamment en Colombie-Britannique avec ce que l’on appelle le processus des traités moderne, dans lequel le seul cadre accepté pour la négociation des traités est l’extinction permanente des droits fonciers inhérents en échange de terres de réserve en fief simple.

Le processus de colonisation de la Palestine par Israël a suivi une stratégie similaire de déplacement forcé couplée à un confinement. La colonisation progressive a commencé sérieusement au cours des premières décennies du XXe siècle, culminant avec la Nakba de 1948 (le mot arabe pour « catastrophe ») qui a vu le déplacement de plus de 750 000 Palestiniens de ce qui est alors devenu l’État d’Israël. Ce processus de vol de terres s’est approfondi après 1967 avec l’expansion des colonies exclusivement juives dans les territoires occupés, un processus qui se poursuit jusqu’à présent.

Le contrôle du mouvement des peuples autochtones a également été au cœur du colonialisme canadien et israélien. Le système de laissez-passer du Canada, promulgué en 1885, stipulait que les peuples autochtones devaient obtenir une autorisation écrite, y compris les raisons de leur départ, de l’agent des Indiens local pour quitter leurs réserves. Le système de laissez-passer a été mis en place pendant la Résistance du Nord-Ouest et a été justifié par le gouvernement canadien comme un moyen de surveiller les peuples autochtones qui participaient ou soutenaient potentiellement la résistance. Bien qu’initialement décrit comme une mesure temporaire, le système de laissez-passer a été utilisé contre les peuples autochtones au moins jusque dans les années 1940.

Ce modèle de restriction des droits humains fondamentaux des peuples autochtones à la mobilité sur leurs propres terres perdure aujourd’hui en Palestine. Cela comprend un système élaboré de permis, des points de contrôle et le mur d’apartheid, qui, ensemble, restreignent et réglementent la circulation des Palestiniens en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Cela s’accompagne du siège hermétique de Gaza, l’expression la plus extrême du contrôle des mouvements entre et à l’intérieur des réserves palestiniennes.

Une autre stratégie qu’Israël a empruntée au Canada est l’utilisation de négociations apparemment interminables comme tactique délibérée de blocage et comme moyen d’enraciner davantage le contrôle des terres et des ressources autochtones. Les négociations se déroulent également dans un contexte de vastes disparités de pouvoir et, à des degrés divers, de menaces manifestes de violence. Par exemple, lorsque le Traité 7 a été négocié entre le gouvernement canadien et des représentants de la Confédération des Blackfoot, de la nation Tsuu T’ina et d’un certain nombre de communautés Nakoda et Assiniboine, les représentants de la Couronne ont amené un important contingent de la Police à cheval du Nord-Ouest, qui pointaient leurs canons directement sur les campements autochtones et leur tiraient parfois dessus en guise de démonstration de force. Dans un récit oral de la signature du Traité 7, l’aîné de Stoney Nakoda, Morley Twoyoungmen, se souvient : « Les chefs ont dit : Vous parlez de paix alors qu’il y a des fusils pointés sur moi. Ce n’est pas la paix, veuillez déposer vos armes».

Israël a également employé la tactique des négociations avec un succès similaire, aux dépens du mouvement national palestinien. Tout au long des accords d’Oslo, de la feuille de route vers la paix, de la conférence d’Annapolis et d’innombrables autres « processus de paix», Israël a poursuivi son expansion des colonies illégales et des guerres brutales contre le peuple palestinien. Dans le même temps, les revendications les plus élémentaires formulées par le mouvement palestinien (mettre fin à l’occupation, permettre aux réfugiés de retourner dans leur patrie et reconnaître l’égalité des droits pour les citoyens et citoyennes palestiniens d’Israël) sont invariablement en dehors des paramètres des négociations.

Des destins liés

Cette histoire coloniale commune est essentielle pour comprendre le soutien du Canada à Israël. La nature similaire des deux États crée une base solide d’affinité idéologique dans laquelle, du point de vue canadien, il n’y a rien de particulièrement problématique ou controversé à ce qu’une population à prédominance européenne établisse un État sur les terres de personnes racialisées, déplaçant les habitants d’origine, et coloniser la terre comme la leur. En fait, Israël est souvent célébré comme un « avant-poste de la civilisation » de la même manière que la colonisation de l’île de la Tortue (Amérique du Nord) a été justifiée comme une « mission civilisatrice ».

Le Canada et Israël ont également des intérêts communs qui sont quelque peu uniques aux sociétés de colons. La légitimité des deux États-nations est régulièrement remise en question par la survie et la résistance continues des habitants autochtones des terres que ces États revendiquent. Avec la persévérance de la lutte palestinienne et la croissance internationale du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions, les contestations du « droit d’exister » d’Israël en tant qu’État colonial d’apartheid ont pris de l’importance, mais il est important de noter que le Canada est également confronté à des défis importants du fait des affirmations de la souveraineté autochtone. Les luttes en cours en Colombie-Britannique, où le gouvernement provincial a dû reconnaître que la grande majorité des terres n’étaient pas cédées, ne fournissent que l’un des exemples les plus clairs de contestation de la légitimité même de la compétence territoriale du Canada.

Dans le domaine de la politique internationale, le Canada joue le rôle d’un défenseur fier et inconditionnel d’Israël contre les tentatives de remédier à ses nombreuses violations des droits de la personne ou crimes de guerre. Le Canada a son propre intérêt à veiller à ce qu’Israël maintienne l’impunité, car il a également fait l’objet d’un examen minutieux à l’ONU, qui est de plus en plus utilisée par les peuples autochtones comme un forum par lequel faire avancer leurs luttes et demander réparation pour les violations des droits de la personne. Le Canada a également attiré l’attention internationale sur son expansion continue des sables bitumineux en Alberta, son exportation continue d’amiante vers les pays du Sud et le bilan atroce des sociétés minières canadiennes en ce qui concerne les violations des droits de l’homme et le déplacement de personnes (principalement autochtones) en Amérique latine. Si Israël est tenu responsable de ses crimes contre les peuples autochtones sur la scène mondiale, le Canada risque davantage de subir le même sort. Il ne peut pas permettre que ces précédents soient établis, et il profite donc du fait de s’assurer que l’ONU et ses divers organes restent faibles et incapables de faire respecter le droit international.

Un exemple récent de cela est la crainte persistante du Canada d’être tenu responsable du système des pensionnats en tant que crime de génocide. Selon un récent article du Globe and Mail, le président nommé par les conservateurs de la Commission de vérité et réconciliation est conscient de cette préoccupation : « Le juge Murray Sinclair dit que les Nations Unies définissent le génocide comme incluant le retrait d’enfants en raison de leur race, puis le placement avec une autre race pour les endoctriner. Il dit que le Canada a pris soin de s’assurer que sa politique sur les pensionnats n’était pas « rattrapée » par la définition de l’ONU. Comme l’a expliqué le juge Sinclair à un groupe d’étudiants de l’Université du Manitoba en février : « C’est pourquoi le ministre des Affaires indiennes peut dire que ce n’était pas un acte de génocide… mais la réalité, c’est qu’enlever des enfants et les placer chez un autre groupe dans la société à des fins d’endoctrinement racial était – et est – un acte de génocide et il se produit partout dans le monde».

Le gouvernement canadien profite également de sa relation avec Israël en accédant à l’expérience d’Israël avec des outils de répression à usage domestique ou, dans le cas des drones diffusés, en Afghanistan. Bien que le Canada ait développé sa propre vaste expérience à cet attendu grâce à déployés policiers et militaires répétés pour maîtriser la résistance autochtone, Israël a beaucoup à partager en termes de moyens de haute technologie pour la police et la collecte de renseignements développés au cours de dix ans de répression et de guerre contre les palestiniens. En plus des formes plus manifestes de répression violente, cela comprend également l’utilisation répétée de l’étiquette de « terrorisme » pour tenter de discréditer le mouvement palestinien, une étiquette qui est maintenant de plus en plus utilisée par le gouvernement canadien dans ses guerres de propagande contre les peuples autochtones et, récemment, pour salir l’opposition autochtone et non autochtone aux sables bitumineux et à ses projets de pipeline associés.

Le désir du Canada de bénéficier de l’expertise d’Israël en matière de répression sous-tend la Déclaration d’intention Canada-Israël de 2008 visant à renforcer la coopération sur les questions de sécurité publique, un document signé par des représentants des deux gouvernements qui décrit les « menaces communes » du Canada et d’Israël et détaille une « engagement à faciliter et à renforcer la coopération » dans des domaines allant de la sécurité des frontières aux services correctionnels et au « financement du terrorisme ».

Unité et solidarité

Pour les peuples autochtones vivant au Canada, le principe d’unité et de solidarité entre les peuples a souvent été crucial dans la poursuite de leurs luttes en tant que peuples de nombreuses nations vivant tous sur l’île de la Tortue. Cette unité s’est étendue pour inclure la lutte palestinienne depuis au moins les années 1970, lorsque le Mouvement des Indiens d’Amérique et l’Organisation de libération de la Palestine ont publié une déclaration conjointe affirmant «la résistance unie à une forme commune d’oppression». Ces liens doivent se poursuivre et s’approfondir à mesure que nos différentes expériences de résistance à Israël et au Canada s’éclairent mutuellement.

Pour les Canadiens qui travaillent en solidarité avec la lutte palestinienne, il ne faut jamais oublier que les peuples autochtones d’ici luttent chaque jour pour survivre aux nombreuses façons dont l’apartheid canadien continue de nuire aux peuples autochtones sur les terres desquels ce pays a été construit. Ce n’est pas simplement une question de cohérence morale, bien que cela soit évidemment important. Les luttes pour la souveraineté autochtone sont uniques en ce sens qu’elles remettent directement en cause l’hégémonie du capitalisme canadien. Pour cette raison, il est important de garder à l’esprit comment le soutien à l’autodétermination autochtone profitera à long terme à toutes les luttes pour la justice sociale au Canada. De plus, accepter ce que signifie faire partie d’une société coloniale au Canada, et les ramifications qui en résultent pour les peuples autochtones et les colons, ne peut que renforcer notre capacité à soutenir la lutte palestinienne.

Mike Krebs est un activiste autochtone d’ascendance Blackfoot et européenne basé à Vancouver. Il participe actuellement à la campagne de boycott de l’apartheid israélien à Vancouver.

Source : https://briarpatchmagazine.com/articles/view/architect-of-apartheidVoir aussi:28 | juillet | 2015 | Resistance71 Blog (wordpress.com) (La philosophie de la loi sur les Indiens (The Indian Act, Canada)

Share This