11 Août, 2025

SE DONNER BONNE CONSCIENCE EN PERPÉTUANT CETTE CATASTROPHE DÉSHUMANISANTE

RACHAD ANTONIUS

Plusieurs gouvernements occidentaux semblent être très fiers de dire qu’ils ont l’intention de reconnaître l’État de Palestine, et présentent cette intention comme un acte d’immense courage politique. La couverture médiatique de ces prises de position s’est montrée très favorable, sans aucune critique. Le largage de denrées alimentaires par voie aérienne, provoquant des ruées déshumanisantes et des morts, est, lui aussi, présenté comme un acte courageux et solidaire des Palestiniens.

Or une connaissance minimale de ce dossier montre ces actions comme étant une vaine tentative de se donner bonne conscience, ou de sauver la face, alors que tout est mis en place pour que le problème soit perpétué, alors qu’un génocide est en cours avec l’appui actif de ces mêmes puissances.

Commençons par la reconnaissance de la Palestine comme État. Cela fait 32 ans, depuis les accords d’Oslo, que l’on parle de la solution à deux États. Les accords d’Oslo ne mentionnent nulle part l’État Palestinien, ni même comme projet futur. Seul un « règlement final » prévu cinq ans plus tard a été évoqué. On voit aujourd’hui ce que le gouvernement israélien actuel veut dire par règlement final. On devrait dire solution finale, avec toutes les connotations terribles de cette expression. Mais depuis Oslo, toutes les discussions internationales sur la question partaient du principe que c’est la solution à deux États qui était visée.

Donc, depuis 32 ans on parle d’une solution à deux États alors qu’un seul État est reconnu comme partenaire de la négociation, et 32 ans plus tard, on se « pète les bretelles » d’évoquer l’intention de reconnaître l’autre partie – je dis bien l’intention, et non pas la reconnaissance. Et cela n’a fait hurler aucun comité éditorial des grands médias. M. Carney, vous êtes en retard d’au moins 32 ans (bien plus si on remonte aux origines du conflit actuel). Ne comprenez-vous pas ?

Quant au largage de nourriture par avion, il faut absolument souligner que : a) c’est déshumanisant ; b) ça entraîne de situations horribles de gens affamés qui se jettent sur des poches de farine trop lourdes pour les plus faibles, de sacs de thé endommagés par la mer dans laquelle ils sont tombés, de gens qui se noient en essayant de récupérer des miettes, etc. ; c) Ce n’est pas efficace, et les gens continuent de crever de faim ; et finalement, d) qu’il y a de meilleures solutions à cette situation d’urgence. Six mille camions de nourriture attendent aux portes de Gaza, et une organisation, UNE SEULE, a la capacité d’opérer la distribution dans des conditions acceptables, c’est l’UNRWA. Présenter le larguage de denrées alimentaires comme un pas en avant est ignoble. C’est une tentative de rendre acceptable ce qui devrait être inacceptable. Ce n’est pas seulement l’humanité des Palestiniens et des Palestiniennes qui est niée dans tout cela, mais bien la nôtre, nos sociétés occidentales bien pensantes qui participent activement au génocide et qui pensent se dédouaner en constatant du bout des lèvres la souffrance des Palestiniens.

Cette situation témoigne de l’intériorisation totale du narratif israélien par les élites politiques et médiatiques canadiennes et québécoises (et pas seulement). Une réponse passe-partout à toutes ces contradictions : le Hamas terroriste !  Mais regardez les discours ouvertement fascistes des politiciens israéliens qui appellent au massacre des civils, sans distinction. Regardez les actions de l’armée israélienne, pas seulement depuis le 7 octobre, mais bien avant. Le site de l’OCHA, organisme des Nations-Unies, donne tous les chiffres des morts civils palestiniens AVANT le 7 octobre. Regardez les stratégies israéliennes (armée et colons confondus) en Cisjordanie, où il n’y a ni Hamas ni otages. Regardez les prises de position courageuses des organismes israéliens de droits humains, qui sont publiques et accessibles. Il n’y a aucune excuse pour faire semblant qu’on ne sait pas.

Et ce n’est pas une déclaration de condamnation des « exagérations » israéliennes qui va sauver la face des gouvernants. Deux actions sont absolument requises. Une première, diplomatique et musclée, pour que les 6000 camions de produits alimentaires et médicaux qui attendent aux frontières de Gaza puissent entrer dans ce camp de concentration à ciel ouvert. Et une deuxième, politique, pour prendre acte du processus de dépossession des Palestiniens commencé il y a plus de cent ans, et pour imposer à Israël une solution humainement acceptable où les 15 milions d’humains qui vivent dans la Palestine historique puissent vivre égaux dans un même État, sans égard à leur appartenance ethnique ou religieuse. On ne peut pas refaire le passé de la dépossession et du nettoyage ethnique. Mais on peut penser un avenir sans apartheid.

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