22 Fév, 2024

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Bouleversant témoignage de Ziad Medoukh

ZIAD MEDOUKH

Ziad Medoukh

Bonjour de Gaza détruite et dévastée. Croyez -moi, ma détermination, mon courage, ma résilience, ma patience et mon optimisme, n’arrivent pas à dépasser ma détresse totale.

Après presque quatre mois depuis le début de cette agression horrible de l’occupation contre la population civile de Gaza, la situation sur place est de plus en plus catastrophique et terrifiante.

La vie est un goût amer, en fait, il n’y a pas de vie à Gaza. La vie est paralysée totalement. Il n’ y a rien, ni nourriture, ni eau, ni médicaments, ni électricité, ni gaz , ni  lait, ni pain, ni fruits, ni légumes, ni viande, ni poulet, ni poissons, ni moyens de transport, ni logement, ni perspectives.

Des milliers d’élèves sont privés de leurs cours et des dizaines de milliers d’étudiants sont privés de leurs études. Des milliers de fonctionnaires, d’employés et d’ouvriers, sont privés de leur travail et de leurs salaires. Rien ne fonctionne à Gaza actuellement, aucune administration et aucun commerce.

Je suis très triste. Je suis malheureux, je souffre au quotidien comme tous les habitants de cette région dévastée et laissée à son sort par une communauté internationale officielle complice et je suis en train de supporter l’insupportable.

J’ai décidé d’écrire ce témoignage pour partager ma peine avec les amis et les solidaires de bonne volonté, vous êtes mon seul confort dans cet enfer quotidien.

Quand j’ai un accès à internet, j’essaie de donner des nouvelles. Le problème est que, pour arriver à un point internet, je dois marcher deux kilomètres et, devant ce point, il y a un monde fou. Chacun a droit à trente minutes seulement, tout le monde veut avoir des nouvelles de sa famille au sud et le réseau de communication est souvent perturbé et détruit par les bombardements.

Je vois vos très nombreux messages de soutien et de sympathie. Je remercie les personnes  qui proposent des aides et des dons. Je disais toujours que le plus important est la solidarité morale et politique. Je suis un simple citoyen palestinien de Gaza, je vis comme tous les habitants et je ne veux pas être privilégié avec mon réseau et mes nombreux amis et connaissances.

Même si je ne réponds pas, car le réseau internet est très faible, vos messages soulagent le citoyen palestinien de Gaza qui a perdu tout et qui essaie de survivre avec le peu d’espoir qui lui reste.

Ma vie quotidienne est très difficile et très compliquée. J’ai vécu beaucoup de guerres, d’agressions, d’offensives et de carnages, mais je n’ai jamais vécu une situation horrible comme celle-ci depuis mon enfance.

Actuellement, déplacé d’un quartier à un autre et d’une maison à une autre chez les proches et les cousins, car les bombardements se poursuivent jour et nuit partout dans cette prison à ciel ouvert et fermé et les chars peuvent arriver dans n’importe quel quartier à tout moment.

Il y a trente à quarante habitants et déplacés dans chaque foyer et nous devons faire face à cette situation exceptionnelle.

Je suis devenu sans domicile et sans-abri et je dois accepter tout dans ces maisons d’accueil.

Je ne peux pas ni lire ni écrire dans ces maisons, à cause du bruit et de la présence de dizaines de personnes, et j’ai perdu mes ordinateurs et ma bibliothèque avec ses trois mille livres en français après la destruction de mon appartement au début du mois de décembre 2023, je n’ai rien pu récupérer de mes affaires, mes vêtements, mes diplômes, mes livres publiés, mes recherches et mes cours.

Nous rentrons tous chez nous avant 17 heures et nous dormons vers 19 heures. Le soir, nous allumons avec des lampes que nous rechargeons le matin avec les panneaux solaires. Heureusement qu’il y a toujours du soleil à Gaza et les panneaux solaires ont beaucoup aidé les habitants de Gaza pour avoir un peu de lumière en rechargeant leurs lampes, leurs batteries et leurs téléphones portables pendant cette période d’obscurité et de panne électrique depuis le début de cette agression au début du mois d’octobre 2023.

Pour moi, la nuit, je n’arrive pas à dormir, je pense à mon frère assassiné avec toute sa famille, je pleure seul, je reviens à mes beaux souvenirs avant cette agression et j’essaie de rêver et d’espérer un meilleur avenir, mais en vain.

Moi, qui remontais le moral des jeunes et des enfants de Gaza traumatisés, je suis sous le choc, je suis traumatisé par la succession des événements tragiques qui ont frappé ma famille et tous les citoyens de Gaza ces derniers mois et je ne trouve personne pour effacer mes larmes et pour calmer ma colère énorme.

Mon coeur saigne tout le temps. Croyez-moi, je ne suis pas pessimiste et j’aime beaucoup la vie comme tout le peuple palestinien, mais notre contexte est inimaginable, inacceptable et horrible.

Pour la nourriture, nous mangeons un seul repas par jour et quelques fois un repas tous les deux jours. Il n’y a rien sur les marchés pour manger, souvent une assiette de riz et quelques morceaux de pain et, si nous buvons une tasse de café ou du thé, c’est un luxe pour nous.

Dans chaque maison, les hommes et les femmes s’activent pour préparer le repas en utilisant le feu de bois, parce qu’il n’y a pas de gaz.

Ce n’est pas l’argent qui manque, ce sont les produits alimentaires et essentiels car, depuis quatre mois, aucun produit n’entre à Gaza et il n’y a pas d’aide humanitaire dans le nord de la bande de Gaza. Aucune organisation internationale ou association locale ne s’occupe des très nombreuse personnes démunies et déplacées.

Selon un dernier rapport de l’Organisation des Nations-Unies (ONU) du début du mois de janvier 2024, quatre-vingt-dix pour cent des habitants de Gaza souffrent de l’insécurité alimentaire. Les palestiniens de Gaza ont commencé à mourir de faim.

Les prix ont été multipliés par dix et les rares produits disponibles sont très chers. Une petite bouteille d’eau minérale coûte actuellement à Gaza cinq euros, auparavant son prix était de dix centimes.

Un kilogramme de riz qui coûtait deux euros est passé à dix euros, un kilogramme de farine qui coûtait un euro est passé à douze euros et un œuf vaut trois euros, alors que le plateau de trente œufs coûtait quatre euros avant l’agression. Tout est très cher à Gaza et rien n’est disponible sur les marchés. Il n’y a pas de fruits et de légumes. Tous les terrains agricoles au nord de la bande de Gaza ont été détruits.

Il n’y a pas d’eau potable pour boire, l’eau à usage domestique n’arrive pas dans les robinets et nous l’achetons très chère à quelques stations qui fonctionnent encore, car plusieurs puits d’eau ont été détruits. Plusieurs maladies contagieuses touchent les habitants. Il n’y a aucune autorité, aucun gouvernement et aucun service municipal, pour gérer et pour contrôler cette situation critique. Chacun se débrouille seul pour survivre. Les palestiniens de Gaza sont solidaires entre eux mais, quelquefois, nous n’avons rien à donner, car nous n’avons rien. Le matin, notre souci est de chercher de la nourriture pour notre famille et cherche de l’eau avec énormément de difficultés.

Quand je marche dans les rues de Gaza, je deviens très malheureux, car dans chaque quartier, il y a des maisons, des bâtiments, des immeubles et des infrastructures civiles détruits et endommagés.

J’apprends chaque jour l’assassinat de mes cousins, de mes proches, de mes amis, de mes collègues, de mes voisins et de mes étudiants. Cela me rend très triste, car je suis impuissant et je ne peux pas dire un mot de condoléances à leurs familles. Le sentiment d’impuissance est horrible.

Imaginez-vous, il n’y a ni boulangerie ni magasin, ni pharmacie, ni restaurant, ni café ouvert. Les palestiniens de Gaza sont très tristes, ils sont préoccupés par leur quotidien tragique, ils pensent à leurs proches disparus et ils essaient de chercher de la nourriture et de l’eau pour leurs enfants. Personne ne parle à personne, aucun échange, aucun sourire, tout le monde est sous le choc. Dans chaque famille, il y a des morts, des blessés, des déplacés et des maisons détruites. Quelques fois, je me demande comment nous faisons pour survivre et pour exister toujours.

La situation sanitaire est dramatique, aucun hôpital ne fonctionne, tous les hôpitaux sont hors-service, il y a seulement trois cliniques dans toute la ville de Gaza qui abrite trois cent mille habitants et déplacés. Dans chaque clinique , il a seulement cinq ou six médecins bénévoles débordés qui reçoivent cinq mille patients par jour, sans de vrais médicaments à donner, ou des médicaments expirés.

Personnellement, je suis actuellement malade et je ne trouve aucun laboratoire pour faire des analyses ni pharmacie ni hôpital pour me soigner.

L’armée la plus morale au monde a assassiné vingt-sept mille palestiniens de Gaza jusqu’à présent, dont vingt-deux mille femmes et enfants, et elle a blessé soixante-dix mille autres palestiniens, sans oublier la destruction de presque soixante-cinq pour cent des infrastructures civiles.

Le problème est que cette armée lâche et criminelle n’a réalisé aucun objectif fixé pour ce gouvernement d’extrême droite. C’est de la folie meurtrière et l’impunité totale sans aucune réaction internationale officielle.

Les palestiniens de Gaza, malgré leur colère et leur malheur, apprécient beaucoup les manifestations de solidarité partout dans le monde pour dénoncer ce génocide répété et pour appeler à un cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza.

Ces quatre mois ont été très difficiles pour moi et pour tous les habitants de Gaza avec des événements douloureux.

Au mois d’octobre 2023, au début de l’agression, il y avait des bombardements intensifs, mais j’ai été très occupé, j’accordais des interviews à des médias francophones, j’avais accès à internet, je donnais des témoignages quotidiens et des contacts réguliers avec les amis et les groupes de solidarité avec la Palestine dans le monde francophone, les marchés étaient ouverts et il y avait un peu de nourriture.

Au mois de novembre 2023, la situation est devenue très compliquée, avec le début de l’opération terrestre, l’évacuation de ma famille au sud et l’arrivée des chars dans mon quartier. J’ai été encerclé chez-moi dans mon quartier dévasté.

Le mois de décembre 2023 était un mois noir pour moi avec l’assassinat de mon frère et toute sa famille, la destruction de mon appartement et notre immeuble et mon obligation de quitter mon quartier pour trouver refuge chez les proches.

Le mois de janvier 2024 a connu la poursuite des bombardements et l’arrivée des chars dans toute la ville de Gaza et mon obligation de nouveau de chercher d’autres maisons pour y habiter.

Il y a beaucoup d’événements à raconter, j’aurais besoin des pages et des livres pour décrire notre quotidien très difficile sous les bombes et sous le choc avec cette situation humanitaire catastrophique et ce désastre sans précédent. Je ne crois pas que je suis toujours vivant, car je vois la mort mille fois par jour et, même si je n’ai pas peur de la mort, je suis inquiet pour notre avenir.

L’aspect positif dans tout cela qui me rend fier de moi est que je n’ai pas de haine. Recevez les amitiés palestiniennes de Gaza qui n’est plus Gaza et de Ziad qui n’est plus Ziad.

https://www.facebook.com/100003051609284/posts/6776188792492774/?mibextid=rS40aB7S9Ucbxw6v

https://www.fischer02003.over-blog.com/2024/01/temoignage-de-ziad-medoukh.html

Note de PAJU:

Le témoignage de Ziad Medoukh sur la misère et l’horreur de la vie quotidienne à Gaza depuis l’attaque génocidaire israélienne qui a débuté le 7 octobre 2023 est la réalité qui se cache derrière les statistiques. C’est aussi à la fois l’accusation et la preuve de la complicité des classes politiques et des médias occidentaux dans le blanchiment de ce que les peuples de la terre reconnaissent comme un génocide calculé perpétré par l’État d’apartheid d’Israël contre la population civile palestinienne.

«  Ziad Medoukh est Directeur du département de français de l’université Al-Aqsa de Gaza, récompensé par plusieurs prix littéraires et même les palmes académiques, il est un amoureux fou de la France et de la langue française qu’il a apprise en Algérie. Lui qui vit au quotidien l’injustice et la violence a créé en 2004, au sein de son université, le Centre de la paix. Parce qu’il sait que, pour être efficaces, « les artisans de la non-violence doivent s’insérer profondément dans la vie socio-économique locale », il emmène ses étudiants aider les agriculteurs pendant la récolte des fruits et légumes, donner un coup de main aux pêcheurs, et il les invite à s’impliquer dans un programme de soutien psychologique aux enfants traumatisés. » (pris de À Gaza : Ziad Medoukh, un géant de la non-violence (la-croix.com)

https://ujfp.org/lecture/nouveau-recueil-de-poesie-de-ziad-medoukh-sur-gaza-gaza-la-vie-est-belle/(2018)

https://www.jamnalalbajajawards.org/awards/archives/2017/international/ziad-medoukh (2017)

https://www.preface.ma/poemes-d-espoir-dans-la-douleur-choix-de-quarante-poemes-pour-gaza-pour-la-palestine-pour-la-vie-9791092758054.html (2016)

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