En tant que descendant des victimes d’Auschwitz, je n’ai aucun intérêt pour la réinterprétation de Yad Vashem
Par Eitay Mack
Yad Vashem organisera un événement le 27 janvier pour marquer le 75e anniversaire de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz. La liste des invités qui ont confirmé leur présence, chefs d’État et hauts représentants de la plupart des pays européens, du Canada, de l’Australie, des États-Unis et même des représentants des familles royales européennes, est la réalisation du rêve raciste de Viktor Orban et Jair Bolsonaro d’un monde qui est blanc et basé sur l’identité judéo-chrétienne. Ce n’est pas un hasard qu’il n’y ait aucun participant d’Amérique latine, d’Afrique ou d’Asie de l’Est à la conférence.
Après la Seconde Guerre mondiale, en réponse à l’Holocauste dans lequel six millions de juifs ont été exterminés, la communauté internationale a adopté un ensemble de chartes visant à protéger la reconnaissance et la défense des droits humains fondamentaux, à prévenir des génocides et de la discrimination et à protéger les réfugiés. Ces chartes ne sont pas parfaites mais donnaient l’espoir que le terme « plus jamais » ne deviendrait pas un slogan creux.
Toutefois, du point de vue d’Israël et de bon nombre de pays occidentaux dont les représentants assisteront à l’événement de Yad Vashem, les citoyens de l’hémisphère sud ne sont pas censés être pleinement protégés par ces chartes post-Holocauste et les protections aux droits de la personne. Depuis des décennies, depuis la libération d’Auschwitz, non seulement la plupart de ces pays sont restés silencieux face à une longue liste de massacres, de viols, de disparitions et de tortures de masse, mais ils ont activement contribué à l’avènement de tels crimes. Certains pays occidentaux ont continué à être gouvernés par des régimes colonialistes et néocolonialistes. Pour des raisons économiques et dans le cadre de la guerre froide et de la guerre contre le communisme, la plupart des pays occidentaux ont vendu des armes et soutenu des régimes militaires qui ont perpétré des crimes contre l’humanité et des génocides.
Avec le consentement des États-Unis, Israël est rapidement devenu un fournisseur d’armes central pour une liste de régimes meurtriers en Amérique centrale et du Sud, en Afrique et en Asie du Sud-Est. Ainsi le soutien d’Israël à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide a été troqué par un soutien à des régimes militaires tel celui du Guatemala, et ainsi cautionné le génocide perpétré contre des autochtones de ce pays grâce à l’utilisation d’armes israéliennes. Le soutien d’Israël à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et d’importants projets civils pour l’indépendance des nations africaines se sont transformés en un soutien militaire d’envergure au régime d’apartheid en Afrique du Sud.
Contrairement au Holocaust Museum de Washington qui, pendant des années, a offert une interprétation universelle des leçons de l’Holocauste, documenté la destruction et les crimes contre l’humanité contre d’autres peuples et même créé un institut pour prévenir le génocide, Yad Vashem (à l’exception de certains de ses chercheurs) s’est abstenu de traiter de tout ce qui s’écarte de la question juive. Pendant des décennies, Yad Vashem est même devenu un lieu de visite obligatoire pour les dictateurs, les assassins, les racistes et les fascistes qui visitent Israël afin de légitimer des accords d’achats d’armes et se couvrir d’un manteau de légitimité et de la kashrut morale de l’allié américain. Par conséquent, il n’y a pas de lieu plus approprié pour réinterpréter collectivement tous les crimes de ces pays contre des parties importantes de la population mondiale que le musée de Yad Vashem.
Le 27 janvier 2020, personne ne parlera des leçons d’Auschwitz et ni des processus qui ont eu lieu dans les années 1930, compte tenu du vent de haine des étrangers et de l’islamophobie qui circule dans les pays occidentaux, ni de la crise mondiale des réfugiés et de la poursuite des guerres au Soudan du Sud et en Syrie, ni des Rohingyas qui restent coincés dans les camps de réfugiés au Bangladesh, de la crainte d’un génocide au Burundi ni des zones d’opposition brûlées au Cameroun ou au Honduras.
Ils ne parleront pas non plus de la situation du peuple palestinien dans les territoires occupés, de la responsabilité de la France dans le génocide au Rwanda, de la responsabilité de la Grande-Bretagne dans le désastre de la partition de l’Inde, ni des camps de détention où des membres du mouvement pour la liberté du Kenya ont été torturés, ni de la responsabilité américaine dans le massacre de masse des communistes et des gauchistes en Indonésie, ou du génocide contre les Premières Nations du Canada, des États-Unis et de l’Australie.
Vraisemblablement, le président de l’Arménie n’osera pas questionner le fait qu’Israël s’abstienne de reconnaître le génocide arménien et le président de la Bosnie n’osera pas interroger l’aide militaire israélienne aux Serbes et aux Serbes de Bosnie pendant la guerre et le génocide qui a eu lieu là-bas.
En tant que descendant des victimes et survivants d’Auschwitz, il n’y a rien d’intéressant pour moi dans cet événement.
L’avocat Mack est un militant des droits de l’homme spécialisé dans la question du commerce des armes d’Israël.
Distribué par PAJU (Palestiniens et juifs unis)
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